Observations du CNOM sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance – 13 septembre 2006

En préambule, il convient de souligner que l’étude est volontairement limitée aux articles qui intéressent la déontologie des médecins, leur exercice et les droits des patients.

Art. 5

Inséré dans le chapitre II consacré aux dispositions de prévention fondées sur l’action sociale et éducative et modifiant le code correspondant, cet article a pour objet d’autoriser le partage des informations « nécessaires à la continuité et à l’efficacité de leurs interventions » entre les différents professionnels de l’action sociale d’une part et pour « ce qui est nécessaire à l’exercice de ses compétences dans les domaines sanitaire, social et éducatif » avec le maire d’autre part.

Le même souci d’efficacité de l’action sociale a conduit à l’adoption dans le projet de loi réformant la protection de l’enfance (AN 3184) d’une disposition (article 7 insérant dans le code de l’action sociale et des familles un article L. 226-2-2 ) autorisant un partage des informations à caractère secret entre les professionnels chargés de la protection de l’enfance. Ce partage est strictement limité à ce qui est nécessaire à l’accomplissement de la mission de la protection de l’enfance et les représentants légaux, comme l’enfant en fonction de son âge et de sa maturité, en sont préalablement informés sauf si cette information est contraire à l’intérêt de l’enfant.

L’article 5 apparaît redondant par rapport à la disposition déjà adoptée par le Sénat et sa rédaction, en tout état de cause, moins précise.

L’extension du partage de l’information au maire souligne aussi une autre discordance : le projet de loi sur la protection de l’enfance conforte le conseil général dans son rôle de premier recours ; le projet de loi sur la prévention de la délinquance confère au maire un rôle pivot. Cette dualité s’explique mal, alors que dans les deux cas il s’agit de protéger des enfants en danger de désocialisation du fait des graves difficultés sociales, éducatives ou matérielles auxquelles eux ou leur famille sont confrontés ; à tout le moins l’articulation devrait en être précisée. A défaut, la multiplicité des interlocuteurs appelés à partager le secret en ruinera la portée et il y a tout lieu de penser que les professionnels de santé notamment, refuseront, faute de garantie suffisante à cet égard, de communiquer les informations qu’ils détiennent.

Art. 16

Par dérogation aux dispositions du 2° de l’article 226-14 du code pénal qui subordonnent au consentement de la victime majeure, le signalement des sévices constatés par un médecin, il est envisagé que le médecin procède à ce signalement dès lors qu’il est informé que les violences ont été infligées par le (ou ex) conjoint, le (ou ex)concubin, le (ou ex)partenaire d’un PACS.

Cette disposition est singulière puisque ce ne sont plus les constatations du médecin ou la situation de la victime mais la seule qualité, alléguée par celle-ci, de l’auteur des violences qui autoriseraient le médecin à faire le signalement, sans l’accord ou contre l’opposition de la victime. Un tel critère ne peut que favoriser les erreurs et manipulations du médecin qui n’est pas témoin des faits et n’a aucune qualité pour vérifier la situation conjugale de la personne. Il sera source de contentieux.

L’Ordre des Médecins est opposé à cette modification.

Il rappelle que l’article 226-14 du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004, permettait au médecin de signaler, sans le consentement de la victime, les sévices infligés à une « personne vulnérable », disposition qui trouvait assez souvent à s’appliquer aux violences au sein du couple. L’Ordre des Médecins avait alors souligné combien il regrettait cette modification qui lui apparaissait comme un affaiblissement de la protection des personnes vulnérables en raison notamment de leur âge ou de leur handicap.

L’Ordre des Médecins propose de modifier ainsi la 2è phrase du 2° :
« Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire. »

Art. 18

Il complète l’article L.3211-11 du code de la santé publique relatif aux sorties d’essai des patients hospitalisés sous un régime de contrainte (HDT, HO) d’une part en précisant le contenu de la décision de sortie, d’autre part en introduisant le principe de la transmission de cette décision aux maires de la commune de l’établissement et de la résidence du patient.

Cette notification nous paraît une violation grave des droits à la vie privée et à l’intimité des patients hospitalisés sur demande d’un tiers qui, s’ils ont présenté un risque de danger pour eux-mêmes – risque a priori écarté puisqu’ils bénéficient d’une sortie d’essai -n’ont jamais compromis la sûreté des personnes ni porté atteinte à l’ordre public.

Cette nouvelle mesure est présentée, notamment dans l’exposé des motifs, comme un meilleur contrôle des sorties d’essai des établissements psychiatriques. Mais on ne voit pas de quel droit ni de quels moyens le maire, notamment de la commune de résidence ou de séjour de la personne, pourrait justifier pour exercer ce contrôle.

Art. 19

Il crée un traitement national de données à caractère personnel destiné à améliorer le suivi et l’instruction des mesures d’hospitalisation d’office (1er alinéa). Il comporte les mêmes données que le fichier, départemental, HOPSY qu’il remplace.

Cependant la durée de conservation des données est sensiblement augmentée : jusqu’à la fin de la cinquième (contre 1a 1ère) année civile de l’admission en établissement hospitalier. Cet allongement du délai, à l’évidence, n’est pas justifié par l’objectif défini au 1er alinéa mais par le régime des autorisations de détention d’armes, le fichier national pouvant être consulté à cette occasion.

On doit se demander comment cette disposition se concilie avec le principe posé à l’article L. 3211-5 selon lequel à la sortie de l’établissement, une personne hospitalisée pour troubles mentaux conserve la totalité de ses droits et ne peut se voir opposer ses antécédents psychiatriques.

Cette interrogation est d’autant plus prégnante qu’un certain nombre d’autorités (préfet, procureur de la République, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales –et les personnes habilitées par eux – ) peuvent accéder directement aux données enregistrées.
Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la CNIL, doit certes fixer les modalités d’application de cet article et préciser notamment la nature des données à caractère personnel enregistrées, plus spécialement celles qui pourront être consultées dans le cadre d’acquisition ou de détention d’armes et l’habilitation des personnels autorisés à accéder au fichier.

Toutefois les enjeux au regard des libertés individuelles et des droits de la personne sont tels que si cette disposition devait être maintenue, il conviendrait de l’encadrer plus strictement dans la loi en prévoyant notamment un contrôle de la traçabilité des accès et un rappel des dispositions pénales applicables en cas d’intrusion.

Le Conseil national demande en outre à être consulté sur le projet de décret à venir.

Art. 21 à 23

Ces articles modifient sensiblement les dispositions du code de la santé relatives à l’hospitalisation d’office.

L’article 21 substitue à la procédure habituelle (arrêté préfectoral motivé, établi au vu d’un certificat médical circonstancié rédigé par un psychiatre extérieur à l’établissement d’hospitalisation) celle prévue à l’actuel article L.3213-2 du code de la santé, jusqu’ici applicable aux seuls cas de danger imminent résultant de troubles mentaux manifestes.

Il résulte de cette généralisation un affaiblissement notable de la protection des personnes et à tout le moins, si cette option devait être retenue, serait-il nécessaire de préciser la rédaction de cet article :
– au 1er alinéa, à quoi correspond la distinction faite entre « certificat médical » et « avis médical » dès lors que les termes « au vu » indique qu’il s’agit bien d’un document écrit ?

– Le 2è alinéa semble indiquer qu’on donne la préférence au transfert de la personne en milieu médical plutôt qu’à son maintien dans les locaux de police en l’attente de la production de l’arrêté, ce qui paraît de l’intérêt bien compris d’une personne malade. Mais on comprend moins bien à quelle situation correspondent les termes « lorsque l’arrêté a été rendu mais ne peut être exécuté sur le champ ».

Sur le chapitre VI relatif à la prévention de la toxicomanie

Il comporte diverses mesures relatives en particulier au développement de l’injonction thérapeutique à tous les stades de la procédure pénale, selon le schéma suivant : chaque fois que l’autorité judiciaire enjoint à une personne ayant fait un usage illicite de stupéfiants ou une consommation abusive d’alcool, de se soumettre à une mesure d’injonction thérapeutique, elle en informe l’autorité sanitaire qui désigne un médecin habilité en qualité de médecin relais. Celui-ci appréciera la pertinence d’un suivi médical et dans l’affirmative, invitera l’intéressé à se présenter à un établissement ou un médecin de son choix. Dès que le suivi sera mis en place, l’intéressé en justifiera par un certificat médical auprès du médecin relais qui à son tour informera l’autorité judiciaire de l’évolution de la situation médicale de l’intéressé.

Le dispositif envisagé (art. L 3413-1 à L.3413-3 du code de la santé publique) appelle plusieurs remarques :

– Il est étrange qu’on puisse décider d’une injonction thérapeutique avant même d’avoir soumis l’intéressé à un examen médical. On ne sait d’ailleurs pas qui lève la mesure lorsque le médecin conclut qu’une prise en charge médicale n’est ni nécessaire ni adaptée. Certaines expérimentations en cours laissent penser que ce pourrait être le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ce qui ne va pas de soi.

– Sur quels critères, l’autorité sanitaire (DASS ?) habilite- t-elle le médecin ?

– Quelle est la situation de ce médecin qui n’a pas la qualité d’expert judiciaire mais dont il est attendu un avis motivé sur l’opportunité d’un suivi médical ? et qui a la charge d’informer l’autorité judiciaire de l’évolution de la situation médicale de l’intéressé ?
Ces informations ne pourraient , à notre avis , être communiquées que sous la forme de conclusions « administratives » sans révéler les éléments médicaux qui les motivent (art. 104 du code de déontologie médicale figurant sous l’article R 4127-104 du code de la santé publique).

– Les éventuelles relations entre le « médecin relais » et le médecin choisi par l’intéressé pour assurer le suivi médical ne sont pas définies. Or les missions confiées au médecin relais : proposer les modalités de la mesure d’injonction thérapeutique, en contrôler le suivi sur le plan sanitaire (art. L.3413-2, 1er al) ; contrôler le déroulement de la mesure (art. L.3413-3, 3è al) pourraient laisser craindre une intervention du médecin relais dans les décisions thérapeutiques de son confrère et une atteinte à son indépendance professionnelle.

La rédaction nécessite d’être éclaircie et pour autant que certaines précisions relèvent du règlement, le Conseil national de l’Ordre des Médecins demande à être consulté sur le projet de décret d’application prévu à l’article L. 3413-4.