Quotidien du médecin du 20 novembre 2006 : L’avenir de la démographie médicale hospitalière – Le rapport Berland veut des médecins volants

Chargé par Xavier Bertrand d’étudier les perspectives d’avenir du corps médical hospitalier public et privé, le Pr Yvon Berland rend sa copie. Scrutant à la loupe la situation des quelque 58 000 médecins qui travaillent à temps plein dans les hôpitaux et les cliniques, il formule dix-sept propositions, pour certaines iconoclastes, visant à éviter la fuite des praticiens vers d’autres modes d’exercice, alors que les experts annoncent qu’il y aura, dans la France de 2025, 10 % de médecins de moins qu’aujourd’hui. LE Pr YVON BERLAND vient de remettre au ministre de la Santé le résultat de ses travaux sur la démographie médicale hospitalière. Un rapport de quelque 200 pages dont Xavier Bertrand avait passé commande en mars dernier au président de l’Observatoire national des professions de santé, désormais expert ès démographie médicale. Scrutant à la loupe, sur fond de pronostic globalement mauvais pour le corps médical – la France de 2025 comptera 10 % de médecins de moins que la France de 2005 –, la situation et les perspectives d’avenir des quelque 58 291 médecins travaillant à temps plein dans les 3 178 établissements de santé publics et privés (hôpitaux publics et Psph, cliniques) que comptait la France au 1er janvier 2005, le Pr Berland formule 17 propositions pour mieux organiser la gestion de ces professionnels et surtout pour s’assurer qu’ils existeront toujours dans l’avenir, la pérennité de l’institution hospitalière étant en jeu. La nécessaire connaissance de la démographie médicale hospitalière est, logiquement, la première de ces propositions. Car, après l’Igas (Inspection générale des affaires sanitaires) ou la Cour des comptes, le Pr Berland le confirme : l’Etat n’a pas de lisibilité dans ce domaine. Les experts rencontrent, écrit-il, une «très grande difficulté à obtenir facilement toutes les données nécessaires à un état des lieux des effectifs des établissements de santé publics ou privés de notre pays». Méconnaissance. Conséquence : «Le risque» existe «que l’on compte des acteurs dans un métier alors qu’ils ne l’exercent pas» – l’exemple des généralistes qui exercent en tant qu’urgentistes ou gériatres est cité par le rapport. Pour rectifier le tir, Yvon Berland plaide pour l’installation d’un système d’information performant et adapté. Il voudrait aussi – et, à l’heure de la T2A (tarification à l’activité) et de la part salariale variable du salaire des PH, cela ne va pas plaire à tout le monde – que ce système permette de relier «l’activité médicale des établissements avec le personnel médical par spécialité». Autre proposition phare du Pr Berland : celle d’une réorganisation structurelle de l’offre de soins et des établissements de soins, au niveau des « territoires » de santé (nouvel échelon utilisé notamment dans les Sros – schémas régionaux d’organisation sanitaire). Les «groupements hospitaliers territoriaux» sont inventés, «structures de gestion mutualisée de ressources, notamment en personnel médical, et d’activités», est-il précisé. Des praticiens seraient affectés sur ces structures de coopération interhospitalière d’un nouveau type, exerçant «une activité multisite donnant lieu au versement d’une prime plus attrayante que celle existante» ; ils «auraient accès à la totalité des plateaux techniques des établissements membres du groupement». L’objectif est bien de constituer des sortes d’équipes volantes, permettant de pallier localement les manques. Il s’agira «de constituer des équipes médicales territoriales par spécialité à même d’intervenir aux différents niveaux de l’offre de soins». Au passage, le Pr Berland critique, de manière à peine voilée, les Sros, accusés en creux de ne pas éviter «le gaspillage du temps médical. «Les ARH (agences régionales de l’hospitalisation) doivent, au travers des Sros et Sios (schémas interrégionaux de l’organisation sanitaire), répartir les missions des établissements au sein des régions et interrégions avec plus d’autorité que ce le fut jusqu’à présent», écrit-il, invitant les décideurs à «éviter de faire naître de nouveaux établissements et de nouveaux plateaux techniques (et à) conforter, et surtout rassembler, l’existant en concentrant les nouveaux plateaux techniques et en incitant à une collaboration entre les secteurs publics et privés». Pour autant, restructurer n’est pas la panacée, Yvon Berland le reconnaît. Le « leurre » des restructurations. Promoteur de cette opération depuis plusieurs années, Yvon Berland réaffirme la nécessité des transferts de tâches entre médecins et paramédicaux – c’est sa onzième proposition. «Considérer, affirme-t-il sans ambages, que les restructurations des services et des établissements ou une meilleure collaboration du secteur public et du secteur privé, notamment, permettront à elles seules de combler le fossé qui ne va pas manquer de se creuser entre une offre médicale qui diminuera et des besoins qui ne cesseront d’augmenter est un leurre. Il convient donc d’envisager au plus vite (…) la délégation de tâches et la collaboration des professionnels de santé.» Une bombe à désamorcer.Iconoclaste apparaît également ce nouveau rapport Berland au chapitre de la rémunération puisque, afin d’éviter les fuites du secteur public vers le secteur privé, il avance, dans sa proposition n° 12, la solution suivante : «Il faudrait permettre aux médecins et chirurgiens salariés des établissements de santé d’opter pour une rémunération à l’activité, voire à l’acte.» Du jamais vu. Sur un autre sujet, Yvon Berland se fait très alarmiste en matière de temps de travail des médecins hospitaliers. Il présente en effet de manière noire la façon dont s’organisent les comptes épargne- temps (CET) des médecins (qui existent depuis l’instauration des 35 heures à l’hôpital). Pour lui, ce dispositif est ni plus ni moins qu’une «bombe à retardement» qu’il s’agit de désamorcer rapidement (c’est sa quinzième proposition). Sans quoi, le jour (inconnu) où les praticiens vont vouloir solder ces CET, les hôpitaux vont se retrouver, «faute de ressources médicales disponibles», dans «l’impossibilité de pourvoir au remplacement des acteurs médicaux». Par ricochet, le Pr Berland fait en matière d’études médicales quelques suggestions décoiffantes. Pour faire face à la récente hausse du numerus clausus, et à l’augmentation du nombre d’internes qui va en découler, il affirme en particulier la nécessité de favoriser les «stages hors CHU, dans les hôpitaux généraux d’abord, mais aussi dans les établissements privés qui répondent au cahier des charges établi par les facultés de médecine et les coordonnateurs interrégionaux des spécialités». Il plaide pour une «modification du système de formation permettant d’influencer la démographie hospitalière». Soucieux de ne pas voir se tarir certaines spécialités menacées, le Pr Berland suggère, entre autres, d’identifier cinq filières d’internat (médecine, chirurgie, psychiatrie, biologie médicale et recherche biomédicale, médecine générale). Il met par ailleurs l’accent, d’un point de vue très pratique, sur l’indispensable amélioration de l’accueil des jeunes médecins à l’hôpital, afin qu’ils s’estiment «reconnus et positionnés dans la structure hospitalière non seulement sur un plan médical, mais plus généralement quant à leur statut social» – l’idée de doter les internats de «moyens hôteliers significatifs» est par exemple citée, le rapport évoquant les crèches, les secrétariats, le matériel informatique… KARINE PIGANEAU voir en document joint le rapport d’Yvon Berland.

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