Lettre ouverte de la Fédération nationale des syndicats SUD Santé Sociaux et de l’Union Syndicale de la Psychiatrie à Monsieur X. Bertrand, ministre de la Santé

Monsieur le Ministre, La médecine est décidément une discipline non conventionnelle. Une fois de plus elle vient d’en faire la preuve en inaugurant le « privilège républicain » d’impunissabilité, mélange d’impunité légale et d’inaccessibilité morale. Ainsi un médecin peut il contrevenir à plusieurs règles ou lois sans en être inquiété et encore moins puni. Cela pose plusieurs questions. Celle de l’impunité et celle du délitement de la morale professionnelle liée à la question de la forme d’organisation de cette profession. Mais aussi et surtout celle de l’attitude du ministère dans la gestion de ce dossier représentative de la façon dont il traite les problèmes qui altèrent aujourd’hui profondément le bon fonctionnement de notre système de santé. SCANDALE OU CRISE DE FOND ? Cela ne peut pas être plus officiel, puisque selon rapport Chadelat, commande du ministère portant sur «l’accès aux soins et la CMU ». Depuis la mise en place de la CMU il y a bientôt sept ans des médecins et dentistes, de plus en plus nombreux refusent d’en soigner les bénéficiaires. Il y a trois ans, Médecin du Monde avait alerté sur ce problème, d’autres associations ou organismes avaient pris le relais en s’appuyant sur des études sérieuses. Enfin au bout de ces trois années le gouvernement a fini par devoir mener sa propre enquête dont les conclusions ne font que confirmer les études précédentes. QUELQUES CHIFFRES SIGNIFICATIFS. J Y Nau dans la REVUE MEDICALE SUISSE. Une enquête «par testing» dans six villes du département du Val-de-Marne, fournit ici des éléments chiffrés. Elle conclut que chez les généralistes de secteur 1, qui ont les honoraires conventionnés les moins élevés, les refus sont quasiment nuls (1,6%). Les généralistes de secteur 2, en revanche, sont 16,7% à se soustraire à l’obligation de recevoir ces patients. Quant aux spécialistes de secteur 2, ils sont 41% à refuser les assurés CMU, une proportion semblable aux refus pratiqués sinon revendiqués par les chirurgiens-dentistes (39,1%). Cela donne une bonne idée de l’ampleur des dégâts. Les tableaux chiffrés du rapport Chadelat n’étant pas accessibles ( ?) on ne peut que se contenter des chiffres cités par vous même le 13/12 en présentant le rapport: « le taux de refus est de 14%, 0,7% chez les généralistes de secteur 1, 4,8 en moyenne chez les généralistes (ce qui veut dire un taux très important chez les généralistes de sec 2). 49,2% chez les spécialistes de secteur 2, pour les dentistes le taux de refus est de 39%. Il n’y a donc rien de marginal dans ce phénomène ! UN MALAISE ET UNE IMPUNITE DERANGEANTES. « L’élément financier est prépondérant dans le refus de soin… » précise encore le rapport Chadelat. Y sont incriminés ceux qui se revendiquent comme l’élite, ceux qui se vendent plus cher. Et le serment d’Hippocrate, et le code de déontologie, et l’Ordre des Médecins, et les lois communes sur le refus de commerce? Et la solidarité, et …l’humanité dans tout ça ? Comment et pourquoi les contrevenants échapperaient t’ils à toute sanction, pourquoi ne seraient ils pas jugés comme tout cafetier qui refuserait une consommation a un client. Même le commerce a des lois. Ces médecins sont condamnables à plusieurs titres : – L’alinéa 1er de l’art 7 du code de déontologie médicale, les art 1110-3, et R 4127-7 du code de la santé publique. – L’art L 122-1 du code de la consommation (refus de vente) avec des sanctions prévues à l’art R 121-13 Depuis deux ans l’Ordre des Médecins menace mollement les contrevenants d’une part tout en les justifiant d’autre part. Les pouvoirs publics se disent impuissants faute de plaignants. Comment s’étonner alors qu’une profession régie par un Ordre échappant à tout contrôle démocratique puisse dériver de la sorte sans qu’un coup d’arrêt précoce puisse y être donné. L’Ordre a fait tampon entre l’illégalité d’une pratique et le droit des citoyens. Comment peut on s’étonner des dérives d’une profession abandonnée aux laboratoires pharmaceutiques pour son information, sa formation permanente et continue et de plus en plus pour sa recherche. L’ORDRE EN QUESTION, LA POLITIQUE DU MINISTERE EN QUESTIONS. L’attitude du ministère de la santé, contre l’avis du rapport de M Couty portant sur la création d’un ordre professionnel des infirmiers, à vouloir multiplier les ordres est inquiétante. Le devenir de ces professions et l’évolution des soins au regard de ce qui se passe en matière de refus de soins dans une profession organisée par un ordre telle celle des médecins est inquiètante. Sans même faire état des errements passés de l’ordre des médecins. L’attitude du ministère de la santé face aux conclusions et aux propositions, timides, du rapport Berlan sur la démographie médicale est inquiétante pour le devenir des soins et du système de santé. La pénurie de professionnels ne peut que s’aggraver faute de décision structurelles ouvrant la porte aux appétits de se qui ceux vendrons d’autant plus cher d’autant qu’ils se feront rares. L’attitude du ministère de la santé face aux préconisations de la haute autorité de santé en matière de placements sous contrainte, qui laisse le ministère de l’intérieur lui dicter son point de vue est inquiétante pour la considération des malades, le devenir des soins et les libertés publiques. Sur tous ces dossiers le ministère semble trouver urgent de ne pas défendre le point de vue des soignants et des usagers, de ne pas défendre l’intérêt public mais d’imposer les vues libérales de son gouvernement pressé d’amplifier la privatisation et la marchandisation du système de soins. L’URGENCE DE NE RIEN FAIRE DU MINISTERE. En ce qui concerne les conclusions du rapport Chadelat rien de nouveau à attendre sous le triste soleil politique : « ..examiner s’il y a lieu d’ouvrir d’autres possibilités de saisines et de sanctions, en lien avec l’Ordre… d’ici le mois de mars… » vous déclarez le 13 /12/06. Rien ne sera fait bien sûr avant les élections et faut il rappeler que les médecins font parti de la profession la plus représentée au parlement, faut il de plus rappeler que les praticiens du secteur 2, les plus libéraux font parti des plus solides soutiens à la politique libérale. Les seules solutions préconisées ne visent que les « usagers », a eux de se défendre ! Chiche, mais alors il faut leur en donner les moyens réels. C’est aux plus faibles, aux plus démunis que vous demandez de faire appliquer la loi, et vous rajoutez votre crainte de voir des praticiens se contenter de payer l’amende pour s’exonérer de soigner les personnes sous CMU (Les Echos 20/12).. Faut il que nous soyons tombés bien bas pour en arriver là. Et vos propos peuvent apparaître comme teintés d’un certains cynisme. Rien de bien inquiétant donc dans l’immédiat donc pour ces hors-les-loi de luxe si bien protégés. L’INSUPPORTABLE SITUATION. C’est une situation insupportable pour la majorité des professionnels, et avant tout pour la quasi-totalité des médecins généralistes qui assument au quotidien de leur mieux le maintien de la qualité des soins primaires et risquent d’être éclaboussés par ces pratiques peu reluisantes. C’est une situation insupportable pour les assurés sociaux et les caisses maladies responsables de la bonne marche du système de santé. C’est une situation insupportable sur le plan du droit commun, insupportable sur le plan éthique. Insupportable d’hypocrisie sociale. LES SYNDICATS : SUD SANTE SOCIAUX ET USP, UNION SYNDICALE DE LA PSYCHIATRIE EXIGENT : – que des sanctions dissuasives soient prises par l’autorité administrative à l’égard des délinquants identifiés. – que des mesures d’urgence soient prises pour que cette situation prenne fin immédiatement. – qu’une réflexion soit menée sur l’organisation des professions de santé et qu’un moratoire sur le gel des procédures de mises en place des ordres professionnels soit proposé. Avec pour objectif la création d’un conseil interprofessionnel des professions de santé. – que l’ensemble des représentants des professionnels soient réunis pour construire un projet de formation initiale et continue propre à garantir les fondements éthiques et le primat de la mission de service public des professions de santé. Cette réflexions incluant les problèmes de démographie et de reconnaissance salariale propres a restaurer l’attractivité de ces filières.

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