Article de Libération du 31 janvier 2007 : Les éducateurs ne veulent pas balancer – Le «secret professionnel partagé» ruinerait leurs relations avec les jeunes

Par Jacky DURAND

C’est la clé de voûte de leur métier qui leur semble fragilisée. En instaurant «le secret professionnel partagé» et la possibilité pour le maire d’avoir accès à des informations confidentielles, le texte de Nicolas Sarkozy place les éducateurs de la prévention spécialisée dans une situation délicate. La semaine dernière, ils étaient une poignée à dire leurs appréhensions dans les locaux de l’Union des clubs et équipes de prévention spécialisée de Paris, qui regroupe 19 associations dans la capitale.

La prévention spécialisée a vu le jour après la seconde guerre mondiale, quand des bénévoles et des habitants des quartiers ont décidé d’accompagner des jeunes désoeuvrés, parfois gros consommateurs d’alcool, auteurs d’actes de délinquance, et bloqués entre la fin de la scolarité et l’appel du service militaire. Au fil des années, les professionnels des associations ont pris le relais en allant dans la rue à la rencontre des jeunes pour tenter de nouer une relation de confiance.

«Notre mode d’accompagnement n’est pas classique, explique Yveline. Il repose sur la libre adhésion du jeune et sur son anonymat. Le lien que nous tissons est le préalable à toute action. Quand on arrive, on n’offre rien, on dit « bonjour ». La confiance est le signe de départ d’une action éducative. Aujourd’hui, on ne vient pas nous demander si on connaît tel jeune. Mais demain, avec cette loi, on pourra le faire. C’est grave. Nous sommes payés pour rétablir la confiance dans les institutions perdue par certains jeunes. Quand nous serons obligés de communiquer des informations, il sera extrêmement difficile de maintenir cette confiance.»

Pour Jean-Luc, cette loi n’est pas sans risque pour l’éducateur lui-même : «Quand un éducateur débarque sur un quartier, la première réaction des jeunes, c’est de le soupçonner d’être « un flic » ou « une balance ». Que va-t-il devenir quand il sera immergé parmi des jeunes exclus et qu’il sera soumis à une tension entre le maire qui voudra des renseignements et les jeunes qui l’obligeront à préserver ses informations ?» Jean-Luc estime aussi que l’image du métier ne facilite pas le débat : «A une époque, dire qu’on travaillait avec des ados en difficulté suscitait un certain intérêt. Aujourd’hui, cela provoque une certaine suspicion. L’intolérance a gagné du terrain et il y a beaucoup d’inquiétude par rapport aux jeunes.» Rachida confirme : «Cette loi induit qu’il faut se protéger d’une jeunesse dangereuse, au lieu de promouvoir une jeunesse porteuse du vivre ensemble.»

Un autre éducateur voit se profiler avec la loi Sarkozy un type de société où tout serait binaire :«Il y aurait ceux qui acceptent de rentrer dans un modèle imposé par la loi et les autres. Il y aurait les ayants droit et les sans droit.»

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