Article du Quotidien du médecin du 16 février 2007 : Hospitalisation et soins sous contrainte – La réforme sur les rails

Le projet de loi sur la prévention de la délinquance a été ramené à sa dimension de maintien de l’ordre, après le retrait du volet sur la santé mentale. Les psychiatres sont donc prêts à actualiser la législation qui régit l’hospitalisation et les soins sous contraintes. Un texte qui ne saurait s’embarrasser de préoccupations sécuritaires, même si l’écart est étroit entre le trouble à l’ordre public et la personne qui présente ne serait-ce que des « troubles d’identité ». Le médecin reste au service de son patient, le policier à celui de la justice.

LA LOI DE PRÉVENTION de la délinquance est dépouillée de ses articles 18 à 24 prévoyant que l’autorité administrative pourrait utiliser la procédure dite des « hospitalisations d’office » (HO), définie par la loi du 27 juin 1990, dans le but d’anticiper la survenue de faits délictueux, et instituant un fichier national des HO sur le modèle de celui des délinquants. Stigmatiser les malades mentaux, sous prétexte d’ordre et de sécurité publique, est contraire à l’éthique médicale. Le Conseil national de l’Ordre avait dénoncé, dès la première heure «une violation grave des droits à la vie privée et à l’intimité des patients» dans le projet Sarkozy.

Au nom de la défense de l’efficacité des soins. La confusion entre maladie et délinquance aurait freiné la demande d’aide des patients les plus en difficulté et les plus démunis, accentuant l’incompréhension et la crainte des citoyens. Il n’en sera rien. Depuis le 13 février, la législation de 1990 vaut ce qu’elle a toujours été : c’est «essentiellement un texte sanitaire», relève la Fédération d’aide à la santé mentale (Fasm) Croix Marine. «Certes, elle stipule des mesures de sûreté destinées à protéger les personnes concernées, mais pendant un temps très court et dans l’attente des décisions des médecins liées à l’évolution de l’état de santé. Si les équipes de santé mentale doivent avoir un souci de l’ordre public, elles n’ont pas à se substituer à la justice, à la police et à l’administration.» L’hôpital ne s’apparente pas à une prison. La dangerosité, quant à elle, dépend d’un «moment évolutif» de l’histoire du patient et d’un contexte. Le plus souvent, «il ne s’agit que d’une situation clinique pathologique temporaire». «C’est très explicite, Sarkozy a tourné la page devant l’Assemblée nationale, le 13février, dit au « Quotidien » le Dr Eric Malapert, président du Syndicat des psychiatres d’exercice public. Il s’est déclaré partisan de la réforme de la loi de 1990, affirmant qu’il y souscrirait. J’y vois un grand succès auquel ont participé des membres de l’administration et une quinzaine d’organisations représentant les usagers, les familles, les psychiatres, les directeurs d’hôpitaux et les infirmiers. C’est une démarche non pas catégorielle, mais collective au nom de la défense de l’efficacité des soins.»

«Pour la première fois dans notre profession, un mouvement de grève a rassemblé plus de 75% des 3500psychiatres publics», souligne de son côté le Dr Norbert Skurnik, responsable du Syndicat des psychiatres de secteur.

Dissocier l’obligation de soins de la modalité. Désormais, la route de la réforme de la psychiatrie est ouverte. Le législateur appelle lui-même à des aménagements et à des adaptations. Le Dr Norbert Skurnik, qui a participé aux travaux préparatoires de la loi du 27 juin 1990, n’est pas convaincu qu’il soit nécessaire de la réformer, mais il se soumettra à un nouveau projet. Selon lui, la loi du 30 juin 1838 «était déjà bonne et celle de 1990 se révèle très opérationnelle. Les divers abus qu’on lui attribue ne sont que des fantasmes, nourris par la psychiatrie vécue de manière anxiogène, estime-t-il. Depuis 1838, il y a peut-être eu une ou deux dérives avec l’hospitalisation volontaire» (à la demande d’un tiers, HDT).
La révision programmée de la législation répond à la nécessité d’une actualisation admise par tous. L’HO, en cas de troubles extrêmes, validée par le préfet après avis d’un psychiatre, et l’HDT, maintenue ou levée par un praticien seulement, vont être appelées à se rapprocher. Le passage facilité de l’une à l’autre serait souhaitable, de même qu’on devrait pouvoir sortir d’une HO sans passer obligatoirement par une HDT. Actuellement, la « sortie d’essai », quelle que soit la qualification juridique de l’HO, constitue une porte de sortie directe.

Toujours dans le champ des soins sous contraintes, qui représentent 10 % des hospitalisations en psychiatrie, il convient de «dissocier l’obligation de la modalité». A ce propos, souligne le Dr Malapert, une HO en ambulatoire répondrait mieux à «des patients délirants qui se montrent ambivalents quant aux soins». Par ailleurs, le Dr Skurnik met l’accent sur un nécessaire renforcement des commissions départementales de l’hospitalisation psychiatrique, composées de magistrats et d’usagers, en leur adjoignant un second psychiatre. Et il suggère de faire figurer dans les certificats légaux les modalités des soins, «ce qui éviterait la multiplication des documents administratifs».

Pour sa part, la commission Lopez (DGS/Igas-ministère de la Justice), qui a présenté en 2005 les grandes lignes d’un toilettage de la loi de 1990, à la demande des autorités, suggère de porter de 24 à 72 heures la période d’observation en milieu hospitalier du malade en crise (trouble à la tranquillité d’un quartier par un forcené, par exemple). A Paris, sur 2 500 déséquilibrés, présentant tous des «troubles de l’identité» (déments, psychotiques, etc.), interpellés chaque année*, qui se retrouvent en observation pour 24 heures à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (IP3), un millier sont placés en hospitalisation d’office en raison de leur dangerosité.

En fait, toutes ces propositions ont été consignées dans un document de travail, élaboré par les professionnels associés à la réforme de la loi de 1990. «A la demande du gouvernement, et en accord avec Xavier Bertrand, nous nous sommes réunis au ministère de la Santé à plusieurs reprises, sur une période de deux mois en 2006», confirme le Dr Malapert. Et, afin de finaliser le texte de la réforme, «qui sera déposé au début de la première session de la future législature», annonce le ministère, une nouvelle réunion avec l’ensemble des professionnels et des associations du champ de la santé mentale est prévue le 6 mars. «Le seul risque, qui doit retenir notre vigilance, c’est que les articles18 à 24 de la loi Sarkozy, contre-productifs et peu acceptables, soient repris dans une refonte globale sur la santé mentale», estime le Dr Malapert.
Des psychiatres pour le retrait de la loi Sarkozy. A l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), cependant, on se montre inflexible sur «la non-facilitation des soins sans consentement, y compris l’HO, et leur généralisation». Son président, le Dr Pierre Paresys, rejette ce qu’il appelle «la garde à vue psychiatrique de 72heures», et vilipende «les abus de l’utilisation de la procédure d’urgence pour les HDT, dont la commission Lopez veut faire la règle. D’ores et déjà, il devient de plus en plus fréquent qu’un psychiatre seul –comme l’y autorise la loi, ndlr – signe un certificat de péril imminent», à la demande d’un tiers, alors que le principe de base veut que deux généralistes soient sollicités. «D’où l’utilité de rendre plus efficaces les dispositifs de contrôle relatifs aux soins et à l’hospitalisation», avec la participation, entre autres, du juge des libertés.

L’Union syndicale de la psychiatrie reste mobilisée. Avec le Syndicat de la médecine générale, la FSU, le Syndicat national des psychiatres privés, la CGT, ou encore Sud, elle va jusqu’à réclamer le retrait de la loi de prévention de la délinquance. Votée en première lecture le 21 septembre par le Sénat et le 5 décembre 2006 par l’Assemblée, puis en deuxième lecture par les deux chambres respectivement les 11 janvier et 13 février 2007, il reviendra à une commission mixte paritaire, composée de 7 députés et de 7 sénateurs, d’élaborer un compromis sur le texte avant une adoption définitive d’ici au 22 février, fin de la dernière session parlementaire de la législature. La loi Sarkozy, explique le Dr Pierre Paresys, «est porteuse d’un dispositif qui vise principalement les populations en situation de précarité et de souffrance, en appelant à un contrôle constant et humiliant, ce qui ne peut que susciter la haine des personnes ainsi placées sous surveillance».

PHILIPPE ROY

* Soixante-dix pour cent accusent des précédents d’hospitalisation, 40 % sont « en proie à une errance pathologique » et 33 % ont déjà été conduits à l’IP3, qui traite des urgences médico-légales. L’IP3, dotée de chambres sécurisées, fonctionne avec une trentaine de psychiatres, 27 infirmiers et 27 surveillants.