Article du Quotidien du Médecin du 20 février 2007 : Une expertise de l’Inserm sur la dyslexie

Mieux comprendre les troubles de l’apprentissage pour mieux les prendre en charge (AFP)

C’EST LE RÉGIME social des indépendants (ancienne Canam) qui a sollicité l’Inserm pour la réalisation d’une expertise collective portant sur la dyslexie et autres troubles spécifiques des apprentissages scolaires. Pour répondre à cette demande, l’organisme a réuni un groupe de 11 experts en psychologie cognitive, psychologie cognitive du développement, neuropsychologie de l’enfant, pédiatrie, neurosciences, neurologie, psycholinguistique, linguistique et épidémiologie. Ces derniers ont référencé 1 500 articles, dont 40 % ont été publiés dans les années 2000. C’est dire l’intérêt des chercheurs pour ce domaine aussi complexe qu’interdisciplinaire.

A ne pas interpréter. A cette occasion, le directeur de l’Inserm, Christian Bréchot, a tenu à souligner, après les polémiques provoquées par les deux expertises sur les psychothérapies et les troubles de conduite, qu’il ne fallait pas y voir autre chose qu’une «contribution au débat». Cette expertise «ne doit pas être interprétée», a-t-il insisté. Mais afin d’anticiper tout malentendu, une réunion a été organisée avant publication avec «les professionnels de terrain», dont les propos sont retranscrits à la fin de l’expertise. Cette procédure sera dorénavant appliquée à toute expertise collective.

La dyslexie, qui ne représente qu’une minorité des difficultés d’apprentissage du langage écrit, en désigne les formes les plus sévères et persistantes. De 5 à 7 % de la population en souffrent. Actuellement, la communauté scientifique reconnaît de façon quasi unanime que ce sont essentiellement des déficits, «probablement très précoces et en partie génétiques, de certains processus langagiers (en particulier phonologiques)» qui sont à l’origine de la dyslexie. Toutefois, d’autres facteurs, notamment environnementaux, peuvent intervenir «dans l’expression ou la sévérité du trouble».

L’expertise montre combien la diffusion « la plus large possible » des avancées scientifiques est importante auprès de tous les professionnels, médicaux, paramédicaux et scolaires (sans oublier les parents) qui ont en charge les enfants présentant des troubles spécifiques d’apprentissage. Cette information permet d’assurer à la fois le dépistage le plus précoce des enfants en difficulté et permettre la mise en place, «sans tarder», de mesures visant à réduire leur déficit et à minimiser ses conséquences sur leur devenir scolaire.

Les interventions de nature préventive et rééducative apparaissent de plus en plus intriquées. «La littérature internationale montre qu’une prise en charge précoce, en milieu scolaire, des enfants présentant des difficultés de décodage permet à 50-75% des enfants de rejoindre leurs pairs en l’espace de quelques mois», souligne l’un des membres du groupe d’experts, Catherine Billard (centre de référence sur les troubles des apprentissages de l’hôpital Bicêtre). A cet égard et dans un premier temps, l’utilisation de méthodes d’entraînement intensif et quotidien, réalisées par petits groupes à l’école sur de courtes périodes «mériteraient d’être développées et évaluées». Dans le cas où les difficultés persistent, il faut chercher à poser un diagnostic et à déterminer la sévérité du trouble. «La mise en oeuvre des mesures proposées nécessite d’être graduée en fonction de la sévérité des troubles et doit comporter impérativement une étape d’évaluation à l’aide d’outils validés et étalonnés pour l’âge de l’enfant», précise le groupe d’experts. La coordination entre les différents partenaires (scolaires et extrascolaires) leur apparaît comme indispensable : «Elle doit permettre une réflexion adaptée à chaque cas, centrée sur l’enfant et expliquée à la famille.»

Les troubles psycho-affectifs aussi. Il existe aujourd’hui des données partielles sur les conditions d’efficacité d’un certain nombre de méthodes de rééducation, mais une grande partie d’entre elles doivent encore faire l’objet d’études de validation. «Cela incite à la plus grande vigilance de la part des prescripteurs comme des utilisateurs», prévient le groupe d’experts. Il n’y a pas de méthode miracle, rappelle Catherine Billard. Les troubles psycho- affectifs, fréquents chez les enfants présentant des troubles spécifiques de l’apprentissage, peuvent «conduire à s’interroger sur la priorité des prises en charge». Pour les experts, ils justifient en tout cas un travail psychothérapique en complément des rééducations spécifiques.

Parmi les axes de recherche prioritaires, le groupe d’experts suggère d’évaluer la fréquence des différents types de troubles spécifiques des apprentissages à l’échelle de la population, «ne serait-ce que pour mesurer, de manière plus précise qu’actuellement, leur impact en termes de santé publique». Par ailleurs, la mise en place d’études longitudinales permettant de suivre des enfants avant même l’apprentissage de la lecture serait nécessaire pour «mieux comprendre l’origine des troubles».

STÉPHANIE HASENDAHL

* « Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie. Bilan des données scientifiques », éditions Inserm (editions@tolbiac.inserm.fr, tél. 01.44.23.60.78), 860 pages, 65 euros.