Article du Panorama du Médecin du 5 mars 2007 : Ségolène Royal : ce que je veux pour la santé

Dans un entretien avec Panorama du Médecin, à paraître lundi 5 mars, la candidate à l’Élysée rappelle son attachement à l’accès universel aux soins et à une médecine « moderne et efficace ». Elle souhaite mieux rémunérer les nouvelles responsabilités qui incombent aux praticiens et compte « maîtriser l’évolution des dépenses médicales et pas seulement celle de l’assurance maladie ». Egora publie ci-dessous le texte de cette interview.

PANORAMA DU MÉDECIN : Quel bilan dressez-vous de l’action du gouvernement actuel en matière de politique de santé et de réforme de l’assurance maladie ?

SÉGOLENE ROYAL : Objectivement accablant. C’est ce que pensent d’ailleurs beaucoup de Français et de professionnels. La réforme de 2004 devait apporter le retour à l‘équilibre des comptes dès 2007. Or, depuis 2004, la seule assurance-maladie est restée dans le rouge. Les prévisions pour l’exercice 2007 le confirment. Le dispositif du médecin traitant se traduit par une bureaucratie pour les médecins, tandis que les assurés ne savent plus combien il vont payer, pas davantage ce qui leur sera remboursé. Quant au dossier médical personnel, annoncé à grand renfort de publicité, le gouvernement l’a transformé en un immense gâchis. Et l’accès aux soins devient extrêmement difficile dans de nombreux territoires.

Face aux problèmes de démographie médicale, faut-il encore augmenter le numerus clausus ? Peut-on maintenir la liberté d’installation des médecins ?

Nous devrons prendre en compte le fait que la démographie médicale ne constitue pas une donnée homogène. En outre, les décisions ne peuvent se faire sentir qu’à moyen terme : déterminer le « bon » niveau de nos effectifs à horizon 2010/2015 n’appelle pas les mêmes réponses selon que l’on évoque les généralistes, les pédiatres, les anesthésistes ou les gériatres. Nous devons desserrer le numerus clausus de manière ciblée. Quant à l’installation des médecins, je souhaite qu’elle fasse partie du Pacte de confiance que je leur proposerai, afin de préciser ensemble leurs droits et leurs devoirs vis-à-vis de la collectivité nationale. Il faudra définir des incitations positives pour mieux couvrir les zones sous-médicalisées.

2007 est l’année de la médecine générale comme spécialité. Que faut-il faire pour que les jeunes se dirigent vers cette spécialité désertée ? On ne pourra pas donner aux jeunes l’envie de choisir la médecine générale si leurs aînés ne sont pas heureux dans le métier qu’ils exercent. Or c’est bien ce que l’on constate aujourd’hui, le malaise de cette profession s’est encore aggravé avec les réformes mises en œuvre par l’actuel gouvernement. Les responsabilités et les contraintes administratives se sont surtout accrues pour les généralistes avec le parcours de soins et les exigences de la permanence des soins. Et dans le même temps on ne leur a pas donné les moyens de les assumer. Or il est fondamental de consentir l’effort nécessaire, non pas pour faire plaisir aux généralistes mais parce que notre système de soins et de sécurité sociale a absolument besoin d’une médecine de première ligne moderne et efficace. Je suis consciente qu’il s’agit d’un immense chantier car il concerne à la fois la formation, la redéfinition des missions, les conditions d’exercice et la rémunération. Mais je suis résolue à l’entreprendre avec le concours de leurs syndicats.

Pourquoi vouloir créer 500 maisons de santé ?

La continuité des soins entre la médecine ambulatoire et l’hôpital me préoccupe, et les formules de réseaux ont jusqu’ici inégalement réussi à assurer cette continuité. Les maisons de santé, que j’appelle dispensaires, doivent devenir un maillon de la chaîne. Dans bien des endroits, elles pourraient constituer des pôles d’excellence où se retrouveraient plusieurs praticiens mais aussi des personnels paramédicaux et sociaux. Elles seraient particulièrement utiles dans les zones déficitaires en termes d’offre de soins. En effet, la désertification médicale inquiète de plus en plus les élus et la population de nombreux territoires.

Etes-vous pour le maintien du paiement à l’acte ?

Oui, dès lors qu’il ne sera plus un système fermé et qu’il deviendra enfin possible de le compléter par une rémunération de type forfaitaire, au titre de la participation à des actions de prévention ou de santé publique. Je suis certaine que ces nouveaux engagements professionnels sont de nature à répondre aux aspirations de nombreux praticiens et praticiennes ainsi qu’aux jeunes qui embrassent ces professions. Les médecins répondent à des exigences médicales mais aussi de plus en plus à des demandes à caractère social. Il s’agit de savoir comment mieux rémunérer ces nouvelles exigences en apportant de nouvelles réponses.

Nicolas Sarkozy s’est prononcé en faveur d’un « espace de liberté tarifaire pour les médecins libéraux ». Il souhaite également instaurer une franchise non remboursable, ni par la sécurité sociale, ni par les assurances complémentaires. Que pensez-vous de ces propositions ?

Ces propositions ont une seule conséquence : mettre à contribution les patients et créer les conditions d’une médecine à plusieurs vitesses. L’idée de franchise est une vieille antienne consistant à faire peser sur les assurés une partie des efforts, dans une démarche de culpabilisation qui me paraît à la fois injuste et parfaitement irréaliste. On ne choisit pas d’être malade et, à l’évidence, la fraude, même si elle doit être fermement réprimée, reste un phénomène marginal. Tout ceci ne sert qu’à masquer une gestion aux résultats catastrophiques. La gauche a su, avec la CMU, répondre au défi de l’accès universel aux soins : nous devons aujourd’hui aller encore plus loin, en visant la meilleure qualité pour tous. Renvoyer les Français à des prix de marché élevés et à des primes d’assurance qui explosent, contredit cette priorité. La politique de santé est d’abord un débat sur les valeurs. Nous proposons un système solidaire et responsabilisant ; la droite préconise un système individualiste et brutal, que l’instauration d’une franchise illustre parfaitement.

Doit-on augmenter les recettes de la Sécurité sociale ? Par quels moyens ?

Le moyen le plus sûr de conforter les régimes sociaux est de conduire une politique économique dynamique créatrice d’emplois : nous en sommes loin aujourd’hui, ce qui fait peser de lourdes hypothèques sur les finances sociales, aggrave la dette, et interdit d’investir, en particulier dans la recherche et l’innovation. Dois-je rappeler qu’entre 1997 et 2002 nous avons réussi à rééquilibrer les comptes sociaux sans alourdir les prélèvements obligatoires ? Les gouvernements Raffarin et de Villepin ont réussi l’exploit d’accroître massivement la dette sociale de 60 Mds € en 5 ans, d’augmenter les prélèvements obligatoires, de transférer aux assurances complémentaires des charges et ce sans résoudre le problème des déficits. L’action que je conduirais sera évidemment l’inverse de ce qui a été fait depuis 2002. Par une véritable mise à plat des relations financières entre le Budget de l’Etat et celui de la sécurité sociale et par davantage d’équité de contributions entre les revenus du capital et du travail, nous devrons mettre fin à l’actuelle situation.

Réforme Douste-Blazy, dossier médical personnel, franchise de 1 €… Faut-il remettre en question certains de ces éléments ?

Le système de santé fonctionne mal. La réforme de 2004 a parfois aggravé la situation, notamment en matière d’accès aux soins. La question de l’euro non remboursé est révélatrice d’une approche assez méprisante à l’égard des assurés et parfaitement inopérante. Quel coût pourtant pour la sécurité sociale qui a dû transformer tous ses programmes informatiques ! Quant au dossier médical personnel, réforme en principe porteuse de progrès, le gouvernement l’a piloté de telle manière que sa mise en œuvre nous expose déjà à un nouvel échec. J’entends donc reprendre cette réforme à zéro, et redonner un sens au parcours de soins en plaçant le médecin généraliste au cœur du dispositif du DMP.

Doit-on contraindre les dépenses d’assurance maladie ?

L’enjeu est de maîtriser l’évolution des dépenses médicales et pas seulement celle de l’assurance maladie. Nous savons que, dans tous les pays industrialisés, de puissants facteurs agissent sur la dépense, comme le vieillissement, le progrès technique ou tout simplement la croissance démographique. La santé n’est pas une charge mais un investissement. Le meilleur puisqu’il s’agit de l’être humain. Il nous faut optimiser la prise en charge des soins. La maîtrise médicalisée des dépenses de santé est un impératif largement accepté par les acteurs du système. Nous pouvons aller plus loin que ce qui se fait actuellement. J’ajoute que notre système est coûteux parce qu’il n’est pas assez organisé, insuffisamment coordonné entre acteurs, pas assez rationalisé pour ses modes de prises en charge. Les dépenses de santé vont augmenter et cela est naturel. Il nous faut aussi valoriser la recherche et l’innovation et dégager des moyens nouveaux en ce sens.

Comment développer davantage les moyens de l’hôpital alors que ceux de l’assurance maladie sont limités ?

L’hôpital est un pilier essentiel de notre système de santé, garant de l’égalité d’accès aux soins de qualité. L’hôpital doit retrouver confiance. Les enjeux de gestion y sont considérables ; la gestion de la pénurie et l’abondance de réformes (Hôpital 2007 et hôpital 2012) ne régleront pas les problèmes. J’entends remettre à plat les règles du jeu qui sont aujourd’hui imposées contre toute logique, notamment le rythme de la convergence tarifaire et l’application de la tarification à l’activité. C’est seulement une fois les fondations consolidées que la modernisation du fonctionnement et les enjeux de l’avenir pourront être abordés. J’entends pour cela consacrer une part importante des dépenses de santé prévues dans mon pacte présidentiel à l’hôpital. Nous devons servir les patients et mobiliser l’ensemble des personnels hospitaliers au quotidien ; il faut, une fois encore, du dialogue, du respect mutuel et de la volonté. L’exemple de la gouvernance au sein de l’hôpital, du statut des praticiens hospitaliers ou encore du malaise lié aux conditions de travail des personnels soignants montre au contraire la surdité de l’UMP.

Un tout récent rapport d’enquête sur la valorisation de la recherche dénonce l’inefficacité économique de la recherche publique. Partagez-vous ces conclusions ?

Je note que ce rapport a fait l’objet de critiques. La recherche publique française est aujourd’hui étouffée financièrement. Il faut y remédier d’urgence. Je compte augmenter de 10% par an pendant cinq ans les crédits de la recherche publique.

Selon vous, la recherche sur les cellules souches représente-t-elle un danger ?

Les questions de bioéthique sont parmi les plus délicates. La loi d’août 2004 autorise des dérogations au principe d’interdiction de recherche sur l’embryon dans des termes qui ne sont pas suffisamment clairs. Or, en l’espèce, il est bien sûr nécessaire d’être précis. Il conviendra donc d’y revenir, au vu d’un bilan de la loi de 2004, pour permettre le progrès médical dans un cadre juridique sécurisé.

L’industrie pharmaceutique affirme que la politique du médicament menée actuellement menace l’emploi et son implantation en France. Qu’en pensez-vous ?

La France est encore, et je m’en félicite, un grand pays pour les sciences de la vie et la production de médicaments, notamment grâce à la politique menée dans les années 80. Il faut s’appuyer sur cet acquis. La politique de santé doit être tournée vers l’avenir : il faut développer un programme ambitieux de soutien à la recherche et à l’innovation en santé, avec une politique du médicament soucieuse de l’indépendance sanitaire et du développement de la recherche clinique. Je proposerai un pacte aux industries pharmaceutiques, de manière à ce que chaque partie dispose d’une bonne visibilité.

Les partisans de l’automédication y voient une source d’économies pour l’assurance maladie ainsi qu’un moyen de responsabilisation des patients. En faotes-vous partie?

L’automédication est une pratique déjà très répandue, même si les Français y sont moins enclins que d’autres. Dans un souci de santé publique, il me semble toutefois nécessaire d’y mettre un peu d’ordre. Ceux qui sont à même de traiter seuls un problème bénin doivent disposer de médicaments sûrs et efficaces. Les pharmaciens d’officine doivent jouer un rôle de conseil et d’orientation indispensable. Pour autant, l’automédication ne doit pas être un moyen habile de dérembourser des médicaments dont le service médical est reconnu pour faire place à une liberté des prix pénalisante pour les patients. J’ajoute que je ferai en sorte de garantir à tous nos compatriotes l’accès aux médicaments les plus innovants.

Quelles sont vos priorités en matière de prévention ?

Il faut se mettre au travail. J’entends développer l’éducation à la santé et promouvoir une information massive sur les grands enjeux de santé publique, fondée sur des messages positifs. Rien ne sert en effet de se doter de plans vagues et sans moyens embrassant des priorités sans lendemain. Il faut aussi adapter nos organisations sur le terrain, pour que les initiatives nationales se concrétisent. J’associerai ainsi pleinement les médecins, au premier rang desquels les généralistes, ainsi que les équipes de santé scolaire ; enfin, je donnerai son plein essor à la médecine du travail. Mon objectif est de permettre à chacun de construire sa vie en bonne santé, à tous les âges. Mais il faut agir aussi sur l’environnement, en proposant une véritable politique de grande envergure pour la santé au travail et pour notre alimentation.

Où en est-on aujourd’hui en matière de protection de l’enfance ? Que pourrait-on faire de mieux ?

La France est dotée d’une grande tradition en ce domaine, et la prise en main des services de PMI par les conseils généraux a permis, dans la plupart des cas, de consolider cet acquis. En revanche, les réformes impulsées par le Ministre de l’Intérieur en matière d’aide sociale à l’enfance m’inquiètent fortement. Je partage l’émotion des professionnels du secteur, notamment les travailleurs sociaux qui s’occupent au quotidien des jeunes en difficultés et dont je veux saluer ici le formidable investissement personnel mais aussi collectif. Je constate aussi que la politique de prévention en direction des adolescents et jeunes adultes est préoccupante. Nous devrons nous appuyer sur la carte santé jeune pour faire de la prévention une priorité des 16-25 ans. Pour ma part, j’ai proposé un renforcement de la santé scolaire et l’accès aux soins soit gratuit pour tous les enfants pauvres de notre pays.

Pensez-vous qu’à l’heure actuelle, la France serait armée pour faire face à une crise sanitaire majeure ?

La France dispose d’un atout majeur : la qualité de ses professionnels de santé et de sécurité civile. Il me semble que nous devrions conforter ces forces : là encore, on peut estimer qu’une recherche publique mieux dotée, une politique plus soutenue d’innovation, des organisations plus cohérentes nous manquent encore. Dans le même temps, on voit que les grandes crises se jouent aujourd’hui au niveau des continents : nous devons œuvrer à renforcer la cohésion de l’action de l’Europe sur ces sujets, notamment par une meilleure participation de nos professionnels. Enfin, il faut aussi aider et compter sur la mobilisation de nos concitoyens pour mettre en œuvre la solidarité de proximité nécessaire lors de ces crises sanitaires.

Faut-il encore perfectionner notre système de veille sanitaire ?

La gauche, et en particulier Bernard Kouchner, ont eu le mérite de créer en quelques années un système complet, qui n’existait pas, dans un domaine difficile. Mon sentiment est qu’il faut sans doute franchir une nouvelle étape, auprès d’une construction devenue plus complexe. La mutualisation souhaitable des moyens et la transversalité des méthodes pourraient conforter la sûreté de l’expertise. Il faut œuvrer par étapes.

PROPOS RECUEILLIS PAR PAMELA MESSI