Les dangers de l’informatisation des données personnelles en psychiatrie

LA GENERALISATION DU CONTRÔLE INFORMATIQUE

« L’informatique ne doit porter atteinte, ni à l’identité humaine, ni aux Droits de l’Homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques » (loi Informatique et Libertés, 6 janvier 1978)

Le problème de la technique, c’est qu’elle n’a pas de justification par elle-même, qu’elle n’obéit à aucune morale propre : elle risque toujours d’être mise au service d’une cause. En l’occurrence, la nécessité de renforcer le contrôle socio-économique des comportements individuels constitue l’idéologie la plus redoutable de la société néo-libérale, scientiste et utilitariste de ce début de 21ème siècle.

La Commission Nationale Informatique et Libertés, et la Ligue des Droits de l’Homme, alertent sur les risques de fichage généralisé des populations, rendu possible par les nouvelles technologies informatiques. « Ces technologies possèdent des caractéristiques qui nous dépassent : accélération constante, globalisation, invisibilité. Face à elles, le droit est toujours en retard ou inadapté » prévient ainsi le président de la CNIL : « dans 15 ans, nous risquons de nous réveiller dans une société où nous aurons consenti des abandons importants de nos droits fondamentaux » (1). Pour la LDH aussi, le constat est accablant : « depuis une dizaine d’années, les fichiers fourre-tout, dont l’utilité immédiate est incertaine, se multiplient et s’entrecroisent au point que les personnes deviennent transparentes aux yeux du pouvoir, virtuellement nues, que la confidentialité prend des allures d’archaïsme et que l’on oublie les conséquences dramatiques que peut provoquer un fichage précis des personnes lorsque le régime politique vient à se durcir » (2).

Ainsi le Fichier National des Empreintes Génétiques, initialement réservé aux délinquants sexuels, a été étendu par la Loi du 18 mars 2003 sur la Sécurité Intérieure, à l’ensemble des suspects de tout type de délits (sauf les délits financiers…), soit plus de 400 000 personnes.

Le fichier STIC des Infractions Constatées, détenu par la police, répertorie l’ensemble des témoins, victimes et suspects de toutes les infractions commises – soit près de 25 millions de personnes ! -, stigmatisant des milliers de demandeurs d’emploi ne pouvant accéder à certains postes.
Le fichier Base-Elèves centralise les données concernant tous les enfants scolarisés, y compris des informations de nature ethnique (pays d’origine, date d’arrivée en France, etc.). La Loi du 5 mars 2007 sur la Prévention de la Délinquance, autorise la transmission au maire et aux services sociaux des données à caractère personnel des enfants coupables d’absentéisme scolaire.

Le projet de carte d’identité biométrique rendra techniquement possible le traçage de chaque individu, à chaque instant et où qu’il soit, comme c’est déjà le cas semble t-il en Grande-Bretagne. En attendant, la loi antiterroriste de décembre 2005 « permet aux services de police de consulter sans contrôle par le juge les fichiers des opérateurs de télécommunication et d’accès à internet » (3).

En médecine, la Carte Vitale 2 et le Dossier Médical Personnel (DMP) vont généraliser les possibilités de contrôle sur les assurés sociaux (dépenses de santé, arrêts de travail, Affections de Longe Durée, etc.), mais aussi de connexion avec les fichiers des assurances privées et des banques, susceptibles de vérifier la rentabilité du traitement médical et la solvabilité des consommateurs de soins. De nombreux défauts dans la sécurité apportée au respect de la vie privée ont été décelés par la CNIL durant l’expérimentation du DMP, et il n’est pas sûr que le gouvernement suivra sa recommandation portant sur la nécessité d’un chiffrement irréversible du numéro de sécurité sociale identifiant le patient (4). Reconnu chronophage et coûteux, sans accorder de moyens supplémentaires au suivi du parcours de soins et à la prévention, le DMP est en outre manifestement anti-démocratique, puisque les patients qui s’opposeraient à sa mise en oeuvre seront pénalisés financièrement : « le niveau de prise en charge des actes et prestations de soins par l’Assurance Maladie prévu à l’article L.322-2 est subordonné à l’autorisation que donne le patient, à chaque consultation ou hospitalisation, aux professionnels de santé auxquels il a recours, d’accéder à son dossier médical personnel et de le compléter » (5).

Finalement, comme le souligne un chercheur en santé environnementale, « l’objectif réel du DMP n’est-il pas un objectif de contrôle social et plus prosaïquement de trouver un nouveau filon pour alimenter l’industrie bio-médicale ? » (6).

Concrètement, comme dans les autres domaines de la vie privée soumis à un contrôle informatique de plus en plus envahissant, rien ne garantit vraiment que chacun d’entre nous aura les moyens de protéger l’accès à ses données de santé personnelles, et c’est particulièrement le cas en psychiatrie, comme nous allons le montrer.

Dr Labouret

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