Immigration jetable : lettre de mission M. Hortefeux

A la demande presque générale, voilà la lettre de mission envoyée à Hortefeux par Sarkozy et Fillon

Lettre de mission de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République, adressée à M. Hortefeux, Ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement.

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Paris, le lundi 9 juillet 2007

Monsieur le Ministre,

Les résultats de l’élection présidentielle et des élections législatives qui viennent d’avoir lieu dans notre pays montrent l’ampleur de l’attente de changement manifestée par les Français. En élisant au Parlement une large majorité présidentielle, ils ont voulu donner au gouvernement, sans aucune ambiguïté possible, tous les outils nécessaires à la réussite de sa mission. Ce gouvernement, auquel vous appartenez, n’a désormais qu’un seul devoir : celui de mettre en œuvre le programme présidentiel et, au-delà, de réconcilier nos compatriotes avec l’action politique en lui prouvant qu’elle peut encore changer les choses et rendre à notre pays la maîtrise de son destin.

Tout au long de la campagne, des engagements ont été pris dans le champ de vos compétences ministérielles. Il va de soi que nous attendons de vous que vous les teniez. L’objet de cette lettre de mission est de vous préciser les points qui, parmi ces engagements, nous paraissent prioritaires et sur lesquels nous vous demandons d’obtenir rapidement des résultats.

L’immigration est un sujet crucial pour notre nation et un enjeu d’envergure planétaire. Si l’engagement a été pris, durant la campagne présidentielle, de réunir dans un même ministère l’immigration et l’identité nationale, c’est parce qu’il est aussi inconscient de croire que l’immigration est sans incidence sur le devenir de notre nation que de penser que l’immigration n’a pas contribué à forger notre identité. Le cœur du projet présidentiel en matière d’immigration est de reconnaître l’intérêt pour notre pays et pour les pays d’origine d’autoriser un certain nombre d’immigrés à s’installer en France, tout en exigeant de ceux-ci qu’ils respectent nos valeurs et en maîtrisant l’ampleur des flux migratoires. Vous disposez pour cela d’un outil majeur : la création d’un ministère dédié à la question des flux migratoires réunissant sous votre responsabilité l’ensemble des administrations concernées.

Nous vous demandons d’agir rapidement et avec détermination pour structurer ce ministère, le doter de méthodes et d’outils de travail appropriés et faire en sorte que toutes les administrations qui vous sont rattachées travaillent ensemble dans la même direction. Nous attachons également du prix à une forte mobilité des agents de l’Etat entre les responsabilités de gestion des flux migratoires dans les préfectures et l’exercice des responsabilités comparables dans les consulats.

Au-delà de cette réforme fondamentale de structure, le cœur de votre mission sera double : conforter et approfondir la politique d’immigration choisie, telle qu’elle a commencé de se mettre en œuvre depuis 2002, et convaincre nos partenaires de s’engager dans la définition d’une politique de gestion des flux migratoires à l’échelon européen et international. La France doit rester un pays ouvert à l’immigration. Elle doit honorer sa tradition d’accueil des personnes persécutées de par le monde. Et elle ne peut que s’enrichir de l’apport de populations étrangères, comme l’a montré toute son histoire depuis plus d’un siècle. Mais cette immigration doit être compatible avec nos capacités d’accueil et nos grands équilibres sociaux. Nous vous demandons de réaffirmer et d’assurer le droit légitime et absolu de la France de déterminer elle-même qui a le droit de s’installer ou non sur son territoire.

Vous fixerez chaque année des plafonds d’immigration selon les différents motifs d’installation en France et vous viserez l’objectif que l’immigration économique représente 50 % du flux total des entrées à fin d’installation durable en France. Notre pays doit évidemment respecter le droit de chacun de vivre avec sa famille, mais il doit aussi veiller à la réussite de l’intégration des personnes qu’il accueille et tenir compte de ses intérêts économiques et de ceux des pays d’origine. Pour cela, il doit accueillir des étrangers auxquels il peut donner un travail, qui ont besoin de se former en France ou qui répondent à ses besoins économiques. Vous vous inspirerez à cet effet de la politique entreprise par certains de nos partenaires, par exemple le Canada ou la Grande-Bretagne, qui examinent les candidatures à l’immigration au regard d’un certain nombre de critères, y compris d’origine géographique, et déterminent en conséquence des priorités. Si le regroupement familial est un droit, il doit se faire dans le respect des procédures et garantir que les personnes ainsi admises à s’installer en France sont animées d’une volonté et disposent de chances réelles d’intégration. Pour cela, le regroupement familial doit être subordonné au fait d’avoir un logement et des revenus suffisants pour faire vivre sa famille. Par ailleurs, il doit faire l’objet d’un test d’apprentissage de notre langue et de notre culture avant l’entrée en France. Le projet de loi que vous avez d’ores et déjà élaboré et qui sera déposé prochainement sur le bureau de l’une des Assemblées garantit clairement ces objectifs.

En lien avec la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, vous vous attacherez à changer profondément la politique d’accueil des étudiants étrangers en France. Vous veillerez à diversifier leur origine et à recruter davantage d’étudiants dans les disciplines scientifiques. Nous voulons assumer nos responsabilités à l’égard des pays les plus pauvres, qui ont besoin de la France pour former leurs élites, mais nous voulons également que la France devienne un pays qui attire les meilleurs étudiants du monde entier. Pour cela, elle doit changer ses modalités d’accueil. Notre pays ne saurait accepter que des étrangers qui ne respectent pas nos valeurs et qui n’ont pas de volonté d’intégration soient autorisés à s’installer en France. Vous ferez du contrat d’accueil et d’intégration un instrument plus contraignant et dont le contenu sera plus dense. Comment la France ferait-elle aimer ses valeurs, sa culture, sa langue, son histoire, son identité, si elle ne se donne pas la peine de les faire connaître ? Toute personne souhaitant vivre dans notre pays devra ainsi s’engager à maîtriser le français et à respecter les principes fondamentaux de la République, en particulier l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect des lois matrimoniales françaises, l’obligation d’éducation et de scolarisation des enfants, la laïcité et la liberté de conscience. Vous veillerez particulièrement à ce que les femmes immigrées aient tous les outils nécessaires à leur intégration et que leurs droits soient respectés, ce qui suppose qu’elles en aient connaissance et qu’elles soient aidées à les faire valoir. Corrélativement, vous veillerez à faciliter la vie des étrangers qui séjournent depuis très longtemps chez nous et qui respectent nos valeurs, en créant pour eux une carte permanente de séjour. Vous ferez de même pour les étrangers qui ont séjourné en France pendant leurs études ou au début de leur vie professionnelle et qui veulent seulement rester en contact avec notre pays, en créant pour eux des visas permanents permettant des allers et retours et facilitant la vie des affaires.

Il ne saurait par ailleurs y avoir d’immigration maîtrisée si notre pays n’est pas capable de lutter contre l’immigration illégale. Vous renforcerez donc les moyens techniques mis en place depuis 2002 pour lutter contre l’immigration clandestine, en particulier la biométrie. Vous poursuivrez la politique de lutte contre les filières d’immigration illégale et de travail clandestin et vous prendrez les dispositions nécessaires pour simplifier considérablement les procédures d’éloignement. Vous vous fixerez des objectifs exigeants en termes de reconduite à la frontière. Les régularisations seront mises en œuvre au cas par cas, à titre exceptionnel, uniquement si des raisons humanitaires le justifient.

La politique d’immigration choisie, c’est une politique qui tient compte des intérêts des pays d’origine autant que des pays d’accueil. La France ne saurait piller les élites ou la main d’œuvre des pays qui ont besoin de toutes leurs forces pour se développer. Pour autant, cette question se pose différemment selon les pays en cause et vous agirez donc de manière distincte à l’égard de pays émergents comme l’Inde ou la Chine, ou à l’égard de pays plus en difficulté. Avec les pays les moins développés, en particulier en Afrique, vous vous efforcerez de nouer des partenariats dont l’objet sera de réguler ensemble, dans l’intérêt des deux parties, les flux migratoires. Les pays d’origine nous feront part de leurs besoins et s’engageront à nous aider à lutter contre l’immigration illégale, en échange de quoi nous accueillerons un certain nombre de leurs ressortissants et formerons leurs élites, charge à celles-ci de mettre ensuite leur formation au service de leur pays.

A long terme, le développement est évidemment la seule solution à la maîtrise des flux migratoires. C’est pourquoi, en lien avec le ministre des affaires étrangères et européennes, vous veillerez, en tant que chef de mission, à ce que la politique d’aide au développement dans les pays sources d’immigration soit pensée à la lumière de la question de la maîtrise des flux migratoires et vous donnerez une impulsion nouvelle à l’implication des ressortissants étrangers vivant en France dans le développement de leur pays d’origine. L’aide au développement fera partie des accords d’immigration concertée que vous signerez avec les pays d’origine.

Parallèlement à votre action au niveau national, vous prendrez les dispositions nécessaires pour que l’Union européenne s’engage résolument dans une politique commune de gestion des flux migratoires. La France plaidera en faveur de la mise en place d’une procédure d’asile unique, de la création d’un réseau consulaire unique pour la délivrance des visas, et de la généralisation des visas biométriques permettant de suivre les entrées et les sorties. Vous agirez en faveur de la mise en œuvre d’une véritable police européenne aux frontières, du renforcement de la coopération en matière d’éloignement, et de l’élaboration d’un pacte européen de l’immigration comportant, pour les Etats membres de l’Union européenne, des engagements, notamment en termes d’éloignement de leurs clandestins et d’interdiction des régularisations massives qui créent des appels d’air pour tous les pays européens. Au-delà, vous engagerez les concertations nécessaires pour l’élaboration d’un traité multilatéral qui définira les droits et les devoirs des Etats en matière de gestion des flux migratoires, en particulier l’obligation pour les pays d’origine de réadmettre leurs ressortissants en situation illégale sur le territoire d’un autre Etat, et l’interdiction pour les pays d’accueil de favoriser la fuite des cerveaux ou de la main d’œuvre nécessaire au développement des pays pauvres. Une agence des migrations internationales serait chargée de veiller au respect de ce traité.

Vous le savez, le programme présidentiel devra être mis en œuvre en respectant scrupuleusement notre volonté de préserver l’avenir des générations futures grâce à une gestion rigoureuse des finances publiques, conforme à nos engagements européens et composante essentielle de la démocratie irréprochable que nous souhaitons mettre en place. Réussir les réformes attendues par les Français et cesser la spirale de l’endettement ne sont nullement inconciliables, mais sont au contraire deux objectifs complémentaires dès lors qu’il est décidé d’abandonner les politiques qui ne marchent pas au profit de politiques qui marchent. Répartir la pénurie est aussi lâche et inefficace que laisser courir la dette publique. Si nous voulons modifier en profondeur les structures et les modes d’intervention des administrations publiques, c’est pour que chaque euro dépensé soit un euro utile et que le potentiel humain inestimable de notre administration soit beaucoup mieux valorisé.

Dès cet été, une révision générale des politiques publiques, à l’instar de celle réalisée par le Canada au milieu des années 90, sera donc entreprise. Elle sera conduite, sous notre autorité, par le Secrétaire général de la Présidence de la République, le Directeur du cabinet du Premier ministre, le ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, le secrétaire d’Etat chargé de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques, ainsi que des personnalités qualifiées issues du secteur public et du secteur privé, et des parlementaires. L’objet de cette révision générale des politiques publiques sera de passer en revue, avec la collaboration, naturellement, des ministres concernés, chacune des politiques publiques et des interventions mises en œuvre par les administrations publiques, d’en évaluer les résultats et de décider des réformes nécessaires pour améliorer la qualité du service rendu aux Français, le rendre plus efficace et moins coûteux, et surtout réallouer les moyens publics des politiques inutiles ou inefficaces au profit des politiques qui sont nécessaires et que nous voulons entreprendre ou approfondir. C’est dans le cadre de cette révision générale que sera mis en œuvre l’engagement présidentiel d’embaucher un fonctionnaire pour deux partant à la retraite et que nos objectifs de finances publiques sur cinq ans seront poursuivis et atteints (réduction de la dette publique à moins de 60% du PIB, équilibre budgétaire, baisse aussi rapide que possible des prélèvements obligatoires avec l’objectif d’une réduction de quatre points sur dix ans).

Nous vous demandons de vous impliquer personnellement et sans réserve dans cet exercice qui ne saurait remettre aucunement en cause la mission que la présente lettre vous confie. Les premières grandes réformes issues de la révision générale des politiques publiques interviendront dès la préparation des budgets pour 2008. Nous insistons sur le fait qu’un bon ministre ne se reconnaîtra pas à la progression de ses crédits, mais à ses résultats et à sa contribution à la réalisation du projet présidentiel, y compris sur le plan financier.

Sur l’ensemble des points de cette lettre de mission, vous nous proposerez des indicateurs de résultat dont le suivi sera conjoint. Nous souhaitons que figurent, parmi ceux-ci, notamment, le rééquilibrage des flux de l’immigration économique par rapport aux autres motifs d’immigration, l’évolution du nombre des entrées nouvelles, l’insertion sociale et professionnelle des immigrés en situation légale, le démantèlement des filières clandestines d’immigration, la lutte contre le travail clandestin et l’augmentation du nombre des reconduites à la frontière, la signature d’accords d’immigration concertée, le renforcement de l’aide au développement dans les pays sources d’immigration, la promotion d’une égalité des chances réelle et la lutte contre les discriminations. Vous n’hésiterez pas, à cet effet, à créer une direction de la statistique au sein du ministère que vous avez la charge de bâtir.

Nous ferons le point d’ici un an de l’avancement de votre mission et des inflexions qu’il convient, le cas échéant, de lui apporter.

En vous renouvelant notre confiance, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Le Président de la République, Nicolas SARKOZY

Le Premier ministre, François Fillon