Article de Libération du 13 septembre 2007 : Le ministre de l’Immigration a demandé à 19 préfets de faire du chiffre.

Par JACKY DURAND
QUOTIDIEN : jeudi 13 septembre 2007

La «culture du résultat» chère à Nicolas Sar kozy vient de faire de nouvelles victimes : les 19 préfets convoqués hier après-midi par le ministre de l’Immigration Brice Hortefeux pour cause de résultats insuffisants en matière d’expulsions. Rue de Grenelle, on ne voulait «ni confirmer, ni infirmer» la liste des préfectures concernées que Libération s’est procurée auprès d’une source proche du ministère. Il s’agirait de celles de Paris, du Val-de-Marne, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique, du Finistère, du Maine-et-Loire, de la Gironde, de la Manche, de Seine-Maritime, des Ardennes, de la Loire, de l’Isère, de la Haute-Garonne, de Corse-du-Sud, de l’Hérault, du Gard et du Puy-de-Dôme, le fief politique d’Hortefeux.

«Chasse aux crânes». Officiellement, il ne s’agissait pas d’un remontage de bre telles mais «d’une réunion de travail et de mobilisation où le ministre devait échanger avec les préfets dont les résultats doivent être améliorés» , indiquait l’entourage du ministre, confirmant le chiffre de 11 000 expulsions depuis le début de l’année. Mardi matin sur LCI, Brice Hortefeux a affirmé que le quota, fixé par Nicolas Sarkozy, de 25 000 reconduites en 2007 «sera atteint», alors que le 20 août dernier il estimait que cet objectif serait difficile à réaliser. A l’époque, le ministre de l’Immigration se serait fait sermonner par le chef de l’Etat, selon le Point : «Je veux du chiffre ! C’est un engagement de campagne. Les Français m’attendent là-dessus. Je veux que l’on mobilise pour être plus efficace» , aurait dit le Président.

La méthode Hortefeux et le discours de cette méthode rappellent furieusement la manière de faire de Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur : dès l’automne 2002, il avait convoqué les préfets des cinq départements ayant enregistré les moins bons résultats en matière de statistiques sur la délinquance et les cinq préfets les plus méritants. A l’époque, dans les rangs policiers, on n’avait pas manqué de mettre en garde contre la «bâtonnite» et la «chasse aux crânes», l’inflation des interpellations et des gardes à vue «pour faire performant». Harcèlement d’Etat. Aujourd’hui, cette course aux chiffres est d’autant plus mal vécue par les fonctionnaires qu’il ne s’agit plus de compter des vols à la roulotte ou des violences mais des hommes, des femmes et des enfants. «Je ne vois pas pourquoi il y aurait des quotas sur des êtres humains, nous sommes dans un pays des droits de l’homme», s’insurge Joaquin Masanet, secrétaire général de l’Unsa-police, le principal syndicat des gardiens de la paix. «Ce n’est pas à la police de décider qui on doit reconduire à la frontière. C’est à la justice de statuer. Il faut faire attention à toute cette pression sur les préfets qui risque de retomber sur l’ensemble de la hiérarchie policière. Les fonctionnaires ne sont pas là pour contrôler tout le monde. On ne va pas mettre un gardien de la paix à chaque carrefour, dans chaque restaurant ou entreprise pour faire du chiffre en matière d’expulsion.» Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) a exprimé «une vigoureuse protestation devant la poursuite obsessionnelle du gouvernement du maintien d’un harcèlement d’Etat envers les sans-papiers.»