Egalité ? Liberté ? Justice ? La loi santé mentale du 5 juillet 2011 représente une violation des Droits de l’Homme

par Anne-Laure Donskoy, vendredi 29 juin 2012, 13:30 ·

Le texte qui suit a reçu le soutien de:
_ UNGF : L’Union Nationale GEM-France (UNGF)

REUSP-ENUSP : Le Réseau Européen des (ex-)Usagers et Survivants de la Psychiatrie (REUSP-ENUSP)

WNUSP : Le Réseau Mondial des Usagers et Survivants de la Psychiatrie (WNUSP)

CHRUSP : Le Centre des droits de l’homme des usagers et survivants de la psychiatrie (CHRUSP)


Voir en fin de texte pour plus de détails sur ces organisations

Le documentaire récent diffusé sur la chaîne du Sénat Soignés d’office[1] relate l’expérience de personnes admises sous la contrainte dans des hôpitaux psychiatriques ou forcées à recevoir un traitement en ambulatoire. Chaque année en France, plus de 75 000 personnes (les chiffres disponibles pour 2010 varient de 79 à 96 000) sont ainsi internées contre leur volonté, c’est-à-dire plus que celles incarcérées en prison (70 000). Environ 80% le sont à la demande d’un tiers. Il faut rappeler que la psychiatrie est la seule discipline médicale qui permette l’hospitalisation d’une personne contre sa volonté.

Le documentaire montre comment la nouvelle loi de santé mentale introduite en août 2011, nie aux patients de la psychiatrie, qui sont couverts par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, que la France a signée et ratifiée en 2010, la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, à égalité avec les autres :
– Les patients psychiatriques français sont encore internés contre leur volonté sur la base d’un diagnostique psychiatrique, ce qui est contraire aux Articles 3, 4, 5, 12, 14, 15 , 17, 19 et 25 de la Convention;
– Les patients psychiatriques français sont encore internés contre leur volonté sur la base d’un diagnostique psychiatrique couplé de la notion de dangerosité pour autrui ou pour la personne elle-même, ou de la notion de nécessité de « traitement », ce qui est contraire aux Articles 3, 4, 5, 12, 14, 15 , 17, 19 et 25 de la Convention.

La France enfreint ses obligations envers les personnes handicapées en vertu de la législation internationale, laquelle est légalement contraignante. La Convention onusienne requiert des pays signataires de promulguer une législation qui mette en place les droits qui ont été reconnus, et d’abroger les lois constitutives de discriminations envers les personnes handicapées (dont les patients de la psychiatrie).

Le Comité de la Convention onusienne a clairement indiqué que toute privation de liberté sur la base du handicap mental, intellectuel ou psychosocial est contraire aux Articles 14 et 17 en particulier, et que les dispositions légales autorisant l’internement liées à un handicap apparent ou diagnostiqué doivent être abrogées.[2] Cela inclus toute disposition faisant la liaison entre un « diagnostique apparent ou existant de maladie mentale », à un critère de dangerosité pour soi ou un tiers, ou à la nécessité de soins et de traitements[3]. De fait, la Convention onusienne stipule clairement que la privation de liberté dans les institutions psychiatriques/hôpitaux ou en ambulatoire, pour quelque durée de temps que ce soit, ainsi que tout traitement psychiatrique sous la contrainte, sont illégaux.

Le processus judiciaire introduit par la loi dite Loi du 5 juillet 2011, qui devait offrir une sauvegarde a de fait aggravé la situation des droits de l’homme du patient psychiatrique en ne se conformant pas aux termes de la Convention onusienne. Un consensus général s’accorde à dire que son application s’est même accompagnée d’un accroissement très important d’internements sous la contrainte.

D’autre part, en regard des obligations internationales des droits de l’homme, le seul rôle du système judiciaire devrait être de garantir que nul ne soit privé illégalement de sa liberté, et que nul ne reçoive des traitements psychiatriques en hôpital ou en ambulatoire contre sa volonté. Au lieu de quoi, en laissant le Juge des Libertés se reposer sur le jugement d’experts psychiatriques plutôt que sur les termes de la Convention onusienne afin de décider de la légalité de la privation de liberté d’un individu, cette loi a donné à la société les moyens d’incarcérer des personnes fondés sur des stéréotypes psychiatriques, en se focalisant sur le comportement de la personne et la perception de dangerosité envers soi ou un tiers. Ceci enfreint totalement les fondements de la Convention qui requiert de manière absolue que des personnes ayant un diagnostique psychiatrique (le « handicap ») soient traitées à part entière comme des membres de la société et donc à égalité avec les autres, c’est-à-dire que leur maladie ne serve pas de justification à des traitements sur la base de leur handicap ou de leur diagnostique (Articles 1,3, 5, 14 et 25, entres autres).

La privation de liberté fondée sur l’idée qu’une personne ne se rend pas compte de ce qui lui arrive n’est pas admissible au regard de la Convention. L’utilisation de l’apparente incapacité d’introspection d’une personne servant de justification pour transférer le pouvoir de décision à d’autres, revient à une privation de la capacité juridique de la personne et est contraire à la reconnaissance de cette capacité juridique à égalité avec les autres, tel que cela est stipulé à l’Article 12. Cependant, comme le montrent le documentaire et le débat qui suit, l’incapacité d’introspection demeure la justification première permettant l’internement d’office ou le traitement en ambulatoire sous la contrainte.

L’Article 12 de la Convention énonce sans équivoque que les personnes ont le droit de recevoir un soutien qui respecte l’autonomie de la personne, sa volonté et ses préférences. Il ne doit pas non plus être mis en place une tutelle, comme le prévoirait la loi ou la coutume. D’autre part, une fois exprimés, les choix et préférences de la personne doivent être respectés et appliqués. En France, les patients mis en présence du Juge des Libertés (qui garde sa robe en toutes circonstances, même à l’hôpital), sont « préparés » à l’audition par le psychiatre ou un infirmier psychiatrique. Cela n’a rien à voir avec le soutien approprié prévu par la Convention. Comme le dit Peter Campbell, survivant du mouvement des usagers, la psychiatrie est « ce système prétendument là pour nous aider mais qui ne fait que placer des obstacles majeurs dans notre chemin vers l’autodétermination ».

En France on assiste à une dis-proportion d’internements sous la contrainte à la demande d’un tiers, en général les familles, qui se sentent coincées dans des conditions intolérables d’impuissance dues à un manque de soutien, d’abord envers le patient, souvent en crise ou pré-crise, puis à elles-mêmes. Dans le film, une jeune femme qui vit sous ce régime juridique depuis des années, décrit clairement la nature abusive de ces internements à la demande d’une famille. Sa vie est suspendue à la volonté ou, comme elle le dit, « à l’épée de Damoclès », du psychiatre si elle ne se comporte pas ou ne suit pas à la lettre les termes du contrat qu’elle est forcée de signer en échange de sorties d’essai. En cas de défaillance, elle sait que la police, immédiatement suivie des services psychiatriques, débarqueront et la ramèneront à l’hôpital, la « case départ … avec ce statut de HDT qui vous suit… vous savez que vous n’êtes pas vraiment libre en fait ». Elle souligne aussi le fait qu’à l’arrivée à l’hôpital la personne n’a aucun recours puisque « tout de suite c’est la camisole chimique directe» qui empêche même physiquement de parler pendant deux jours; ensuite vous pouvez parler, « une fois que vous êtes bien drogué ». Il n’y a personne pour représenter les droits de ces personnes pendant ces premières heures cruciales de l’internement. Le patient doit attendre 15 jours avant que le système judiciaire se mette en marche. Le rôle des familles dans le placement d’office est un outil honteux utilisé par la psychiatrie qui illustre bien son impotence à offrir un réel soutien aux personnes en détresse. Beaucoup de familles sont soit manipulées par la psychiatrie ou sont complices. On devrait leur offrir et leur apporter le soutien dont elles ont besoin et elles devraient être totalement soustraites de tout processus légal, dont la légitimité ne saurait de toute façon être retenue puisqu’il n’est pas conforme aux termes de la Convention onusienne.

Un autre aspect montre combien la « Loi du 5 juillet » se prête aussi à un usage abusif dans la société en général comme le montre l’exemple suivant récent. En mars 2012, un militant écologiste manifestait par une action non-violente dans un village du Sud de la France[4] . « Elus, gendarmes et pompiers se rendent sur place et décident, bien que l’action se déroule dans le calme, de l’hospitalisation d’office de la personne par arrêté municipal ». Les raisons invoquées ? « L’action troublait l’ordre public et le militant présentait un danger pour lui-même ». Ce sont là les types d’excuses grossières qui passent pour des raisons psychiatriques valides et légales d’enfermement contre la volonté des individus aujourd’hui en France. De fait cela pourrait arriver à n’importe qui ne respectant pas des codes de comportement acceptés et acceptables.

Les violations des droits de l’homme en psychiatrie sont bien antérieures à la Loi du 5 juillet mais aucun des collectifs de professionnels (et leurs syndicats etc.) qui se sont mis en avant pour combattre cette loi, et qui se réclament d’une psychiatrie humaniste et non liberticide, ne se sont vraiment exprimés contre ces violations de manière publique. Depuis le début de leur campagne, ils ont aussi et de façon constante ignoré (nié) le rôle que la Convention onusienne pourrait jouer dans l’abrogation de la Loi du 5 juillet. La raison en est que ces voix qui s’expriment avec force et qui sont si bien organisées, sont celles d’une psychiatrie qui considère la nouvelle loi d’abord et avant tout comme une attaque contre l’éthique de la profession (psychiatres), puis la création de ce nouveau cadre législatif supplémentaire comme une intrusion dans ses affaires. De fait, le monde de la psychiatrie n’aimerait rien de moins que les patients consentent tout simplement et se plient sans broncher au jugement médical des psychiatres, quoiqu’ils décident, « pour le bien de la personne».

Le Gouvernement Français et le corps de la psychiatrie française ont une attitude cavalière en regard des droits de l’homme des personnes souffrant de détresse mentale ; ils continuent d’autoriser voire même d’encourager quotidiennement la privation illégale de liberté, ainsi que des traitements dégradants et inhumains. Le Rapporteur des Nations Unies sur la Torture a clairement dit que cela revient à une forme de torture[5].

Pour toutes ces raisons, et puisque le nouveau Président a promis le soir des élections qu’ « Aucun enfant de la République ne serait exclus ou discriminé » et qu’il souhaitait être jugé sur la justice (et l’égalité) :

– Nous exigeons du Gouvernement Français un changement radical de ses systèmes légaux et de santé mentale qui devront se conformer à ses obligations internationales concernant les droits de l’homme :
La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ne semble pas avoir joué un rôle quelconque rôle dans l’élaboration ou le développement de la législation communément appelée « Loi du 5 juillet 2011 sur la santé mentale », contrairement à ce qui est requis par la Convention. Nous plaidons afin que le Gouvernement Français s’engage à abroger cette loi et à adopter si nécessaire une loi qui lui permette de s’acquitter de ses obligations sous les termes de la Convention onusienne. Cette loi devra donc incorporer l’abolition de tous traitements sous la contrainte et s’assurer que les services de santé mentale soient fondés sur une éthique du consentement libre et éclairé de la personne concernée, ainsi que le Gouvernement Français s’y est engagé en ratifiant le Convention en 2010.
En préservant l’état de droit, c’est-à-dire en respectant les termes de la Convention onusienne et les autres traités des droits de l’homme, lesquels sont légalement contraignants, la France démontrera qu’elle peut respecter les valeurs auxquelles elle a souscrites officiellement.
– Nous condamnons vivement l’attitude des media français qui ne font jamais l’effort de faire part des approches alternatives à la détresse psychologique humaine, alors que beaucoup ont fait leurs preuves, se focalisant uniquement sur le modèle médical ;
– Nous condamnons vivement l’attitude de la recherche française et du domaine universitaire de ne pas non plus valoriser ces alternatives, se rendant ainsi complice du status quo.

Ce qui se passe n’est malheureusement pas spécifique à la France. Cela se passe dans bien d’autres pays, à quelques variantes près. Le fait est qu’il n’existe pas de législation sur la santé mentale qui soit juste. Il est clair qu’une loi qui permet l’internement sous la contrainte et les traitements sous la contrainte en psychiatrie ne peut respecter les termes de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ni à ceux de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.


UNGF : L’Union Nationale GEM-France (UNGF) est une fédération nationale indépendante de Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) dont l’objectif est la promotion des principes du rétablissement et de l’auto-détermination au travers d’activités et de soutien pour et par des usagers et des survivants de la psychiatrie. www.ungf.net

REUSP-ENUSP : Le Réseau Européen des (ex-)Usagers et Survivants de la Psychiatrie (REUSP-ENUSP) est la seule organisation indépendante et représentante de la base des usagers et survivants au niveau européen et ce dans 39 pays. Depuis sa création en 1991, REUSP-ENUSP se bat pour les droits de l’homme et la dignité des usagers de la psychiatrie et l’abolition de toutes les lois et pratiques discriminatoires. REUSP-ENUSP est membre consultatif de la Commission Européenne, de L’Agence Fondamentale des Droits de l’Homme et de l’Organisation Mondiale pour la Santé-(Europe). Au travers du Réseau Mondial des Usagers et Survivants de la Psychiatrie (WNUSP), ses membres ont activement participé à l’élaboration et la négociation de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. www.enusp.org

WNUSP : Le Réseau Mondial des Usagers et Survivants de la Psychiatrie (WNUSP) est une organisation démocratique d’usagers et de survivants de la psychiatrie qui représente des groupes constitutifs au niveau mondial. Dans ses Statuts, les « usagers et survivants de la psychiatrie » sont auto-définis comme des personnes qui ont connu la folie et/ou des problèmes de santé mentale, or qui ont utilisé ou survécu aux services de santé mentale. L’aventure de WNUSP a débuté en 1991. Elle est devenue une organisation à part entière avec une structure mondiale lors de l’adoption de ses Statuts en 2001. Actuellement WNUSP a des membres dans plus de 50 pays, couvrant toutes les régions du globe. WNUSP a aussi un Statut Consultatif Spécial près du Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC). www.wnusp.net

CHRUSP : Le Centre des droits de l’homme des usagers et survivants de la psychiatrie (CHRUSP) basé à New-York offre une direction stratégique dans le cadre de l’advocacy, de l’application et du suivi des droits de l’homme concernant les personnes qui connaissent la folie (« madness »), les problèmes ou la souffrance dus à la maladie mentale. En particulier CHRUSP soutient ardemment le concept de la pleine capacité juridique et travaille pour la fin de l’administration forcée de psychotropes, et des thérapies par les électrochocs et de l’incarcération psychiatrique sous la contrainte. CHRUSP travaille aussi pour un soutien qui respecte l’intégrité de l’individu et du consentement éclairé. www.chrusp.org.

Mental Health Europe – Santé Mentale Europe est une organisation non gouvernementale européenne qui travaille à la promotion de la santé mentale positive, à la prévention des troubles mentaux, à l’amélioration des soins, à la défense de l’inclusion sociale et à la protection des droits fondamentaux des (ex)usagers des services de santé mentale, de leurs familles et de leurs soignants.

[1] 31/03/12: http://www.publicsenat.fr/vod/documentaire/soignes-d-office/72281

[2] Observations de conclusion dans le rapport sur l’Espagne, CRPD/C/ESP/CO/1, paragraphe 36; Observations de conclusion dans le rapport sur la Tunisie, CRPD/C/TUN/CO/1, paragraphes 28-29.

[3] Étude thématique visant à faire mieux connaître et comprendre la Convention relative aux droits des personnes handicapées établie par le Haut-Commissariat, A/HRC/10/48 paragraphes 48-49

[4] http://www.ldh-france.org/region/languedoc-roussillon/2012/03/29/hospitalisation-sous-contrainte-dun-militant-non-violent/

[5]A /63/175 and A/HR/13/39/Add.1, paragraphe 202, Norvège