Article de Libération du samedi 20 octobre 2012 : interview de Catherine Wihtol de Wenden, membre du Comité central de la LDH : « Cela peut mieux enraciner les étrangers »

Veuillez trouver ci-dessous une interview de Catherine Wihtol de Wenden, membre du Comité central de la LDH, sur la question du droit de vote des étrangers aux élections locales, intitulée « Cela peut mieux enraciner les étrangers », publiée dans Libération, le samedi 20 octobre, et également disponible sur liberation.fr.

Interview pour Catherine Wihtol de Wenden, politologue, le vote favorise l’insertion
_ Par JONATHAN BOUCHET-PETERSEN

Politologue et sociologue, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS-Ceri, dénonce les arguments utilisés par les opposants au droit de vote des étrangers.

Comment expliquer la frilosité des socialistes à accorder le droit de vote des étrangers aux élections locales ?

D’abord par les sondages. Deux tiers des Français étaient pour l’octroi de ce droit il y a un an, ils ne sont plus qu’un tiers aujourd’hui. Le gouvernement s’abrite derrière l’opinion publique en disant que ce n’est pas le moment puisque la demande n’est pas forte. Mais à ce petit jeu ce n’est jamais le moment, et ça fait trente ans que la gauche porte cette promesse sans la tenir.

La droite pointe le risque d’un vote «communautariste»…

Elle a inventé cet argument car elle ne peut plus sérieusement invoquer un lien prétendument indissociable entre citoyenneté et nationalité. Depuis Maastricht, en 1992, le droit de vote local et l’éligibilité ont été accordés aux étrangers communautaires dans le cadre de la définition de la citoyenneté européenne. L’obstacle constitutionnel liant citoyenneté et nationalité est alors tombé.

Quels sont les enseignements des nombreux exemples à l’étranger ?

Aucune expérience n’a montré une quelconque montée du communautarisme. La droite entretient là un fantasme. En France, toutes les études ont montré que le vote des enfants d’étrangers est d’abord un vote de classe : les plus insérés, ceux appartenant aux catégories les plus élevées, comme les Chinois entrepreneurs ayant acquis la nationalité française, ont un vote conservateur, tandis que les enfants d’étrangers, plutôt issus de la culture ouvrière, quand ils votent, se tournent en priorité vers le PS. En Belgique, aux Pays-Bas, le vote des étrangers non communautaires correspond à ce clivage. Et, en France, toutes les tentatives de candidatures «communautaristes» à des élections municipales ont échoué.

Manuel Valls a-t-il raison d’assurer qu’accorder ce droit ne serait «pas un élément puissant d’intégration» ?

Cela peut mieux enraciner localement les étrangers dans les affaires qui les concernent. C’est tout le sens de la citoyenneté de résidence, fondée sur la participation aux affaires de la cité. Et n’oublions pas que cette mesure concerne d’abord des parents étrangers de citoyens français. Actuellement, ils ont de fait moins de droits que leurs enfants, ce qui ne renforce par leur autorité. Leur donner ce droit permettrait aussi d’inclure dans un processus de participation politique des populations qui vivent bien souvent l’exclusion au quotidien. De plus, quelle est la légitimité démocratique d’un maire quand celui-ci n’est élu que par une toute petite partie de sa population comme c’est le cas dans certaines villes de Seine-Saint-Denis ? Enfin, une vraie inégalité s’est créée entre Européens et non-Européens : un Algérien qui habite en France depuis trente ans a ainsi moins de droits qu’un Allemand qui est là depuis cinq ans.

La droite insiste aussi sur la réciprocité…

Ceux qui s’accrochent à la réciprocité sont ceux qui défendent le lien entre nationalité et citoyenneté. D’un côté, il y a ceux qui se placent dans le droit fil de la Révolution française et de la Constituante, à laquelle de nombreux citoyens mais non français, comme Thomas Paine, ont participé. Et, de l’autre, il y a ceux qui sont dans l’héritage de la IIIe République, période où a été rendue indissoluble l’alliance entre le citoyen et le national, loin de la définition issue des Lumières. Manuel Valls appartient clairement à ce deuxième camp.