La coupe psychiatrique est pleine !

L’« enthousiasme » de nos ministres de la Santé pour la santé mentale fait peine à voir, sans parler de la « brillance des idées de bureau » des hauts fonctionnaires et conseillers techniques attitrés, quand des dizaines de mouvements revendicatifs d’établissements psychiatriques sont en cours (le plus spectaculaire donc médiatisé étant Paul Guiraud à Villejuif) malgré la période des vacances. La coupe est pleine, car au-delà des remises en cause des conditions de travail (moins d’effectifs soignants, moins de RTT, etc.), donc moins de disponibilité auprès des patients, c’est la colère qui domine : remises en causes des métiers, des pratiques de soins d’accueil et d’hospitalité prises dans l’étau budgétaire, qui loin de traiter les archaïsmes encore existants les pérennisent dans des formes évaluables médicalisées et sécuritaires. L’« enthousiasme » devient « crainte » de santé mentale quand on lit le projet de loi actuel sur la santé, décrit par la ministre Marisol Touraine comme « l’inscription des principes organisationnels propres au champ de la psychiatrie dans la future loi de santé… condition indispensable à la mise en place d’une authentique politique de secteur en France et attendue depuis 30 ans ». Il fait suite aux rapports d’Edouard Couty et celui de Bernadette Devictor rendu le 22 avril à la ministre qui propose de « faire disparaître les quatorze missions de service public incluses dans les activités génériques des établissements de santé ». Il y a du « refoulement » dans les esprits : – Quand est annoncée la reconnaissance légale du secteur psychiatrique, alors qu’il l’est, de façon réglementaires, depuis les textes des 15 et 16 mars 1972, le rapport remarquable piloté par Jean Demay, en 1982, et les lois de 1985 qui ont introduit le vote d’un budget spécifique au parlement pour la psychiatrie. – Quand s’annonce des « services territoriaux de santé mentale » qui, nous, nous ne l’oublions pas, existent officiellement comme secteurs de psychiatrie générale depuis 1972, mais il est vrai avec une nouveauté : ils sont inclus dans des « services territoriaux de santé ». Cette apparente avancée, les textes proposaient jusqu’à maintenant des territoires spécifiques non-reliés aux territoires civiques locaux, donc coupés de la vie sociale réelle, n’en est pas une, car une santé mentale humaine et de droits s’inscrit dans un territoire civique et de proximité qui concerne les élus et les organisations socio-sanitaires locales, mais aussi les différents champs de la médecine générale, du travail et de l’éducation, comme acteurs démocratiques. Or ceux-ci sont en voie, eux-mêmes, d’être restructurés pour être économiquement plus « efficients ». Cette redéfinition précise en fait de nouvelles organisations délocalisées, avec les outils de la loi HPST : les GCS (groupes de coopération sanitaire) et les CHT (communautés hospitalières de territoire) qui sont autant de portes ouvertes aux services privés, dont le grand décideur est jusque dans l’organisation des soins, le superpréfet sanitaire qu’est l’ARS. Tous les éléments de l’organisation territoriale sont enlevés aux acteurs locaux et aux équipes de soin. Ainsi ce sont des arrêtés de l’ARS qui définit des « aires géographiques suffisantes », des actions prioritaires, la gouvernance dans le cadre d’une contractualisation avec le directeur général de l’ARS avec un plan pluriannuel d’objectifs et de moyens, et l’organisation des urgences. Du côté des droits des patients, pas vraiment de bonnes nouvelles non plus : le projet de loi Santé prévoit, au chapitre sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT) un article L.6132-5 sur la gestion de l’information médicale. Soit un DIM unique pour tous les établissements hospitaliers du GHT, qui a donc la main sur l’analyse de l’ensemble de l’activité, et une « dérogation aux dispositions de l’article L.1110-4 » (article de la loi du 4 mars 2002 qui limite le partage des données de santé d’un patient à l’équipe qui le prend en charge) qui instaure que les informations concernant une personne sont alors réputées confiées au groupement ! On passe donc d’une définition précise et restrictive du secret partagé à la transmission la plus large, grave atteinte à la vie privée. La logique néolibérale de la loi HPST continue réellement à s’appliquer, afin de faire correspondre qualité des soins et bonne gestion d’entreprise rentable au sein même du service public, sous le pilotage des ARS. C’est le caractère fondamental du secteur de psychiatrie public et généraliste qui est mis à mort, le secteur restant une mission parmi d’autres et conditionnelle. Ce texte est de ce point de vue exemplaire car il n’est qu’une série de mise sous conditions : l’agrément d’un schéma de soin accepté par l’ARS, la décision des établissements d’en faire ou pas, et « Last but not least » le parcours de santé du patient qui devient une « bonne » gestion de qualité et de SECURITE de « bonnes pratiques », y compris de sa part. La psychiatrie sécuritaire de la loi du 5 juillet 2011 reste donc au centre des préoccupations de nos gouvernants. La psychiatrie ne devient plus qu’une activité de santé spécialisée, pas une action clinique généraliste avec le sujet en souffrance et son environnement. L’accueil 24 heures sur 24 cesse d’être un temps à prendre pour une possible rencontre relationnelle, en devenant une expertise faite de critères d’évaluation pour une admission directe à l’hôpital. C’est d’ailleurs le sens, également, d’un secteur qui de généraliste devient une mission spécifique (art.3221-1) de proximité, adoubé par des établissements avec leurs spécificité. Le secteur de santé mentale est renvoyé, en conséquence vers des associations (art L3221-2) de soins, de prévention, de réadaptation et de réhabilitation des patients, loi du 1er juillet 1901. Le médecin responsable reste garant du soin au sein de l’association par convention avec son établissement. On constate ainsi la proposition d’une technicité managériale entre acteurs qui laisse à l’abandon toute psychothérapie institutionnelle comme démarche de secteur, là où justement les associations sont devenues, ces dernières années, souvent des accompagnants essentiels, en particulier dans l’accès aux soins des précaires et des migrants, mais aussi dans la place des associations de familles et de patients. Les conseils locaux de santé mentale ne sont plus une obligation, mais « peuvent » exister, dont la fonction devient une pure coordination et non un lieu d’élaboration de santé mentale en commun, ceux-ci relevant du maître d’œuvre que sont les services de l’ARS. Enfin la création de commissions départementales de soins psychiatriques, tout en ouvrant la possibilité de recevoir les plaintes venant d’associations de patients, reste limitée à une mise en forme de toute mesure sécuritaire (avec la présence de 2 psychiatres désignés hors du système de soin, 2 représentants des associations, 2 magistrats) à l’opposé d’un véritable observatoire des pratiques de soin sous contrainte. Nous refusons donc la globalité de ce texte, et, dans la perspective d’élaboration de contre-propositions pour une psychiatrie et une santé mentale humaine et démocratique, appelons les organisations, qui partagent cette critique, à se réunir pour le combattre.

Documents joints