Articles du Parisien du 18 septembre 2014 : L’hôpital public veut assouplir le « carcan » des 35 heures

Social. Une étude réalisée par la Fédération hospitalière de France (FHF) pointe les difficultés engendrées par les 35 heures à l’hôpital. La FHF réclame aujourd’hui plus de souplesse.

Daniel Rosenweg | Publié le 18.09.2014, 09h29

Après la révision des 35 heures réclamée par le Medef pour le secteur privé, va-t-on vers une réforme du temps de travail à l’hôpital public ? Selon nos informations, c’est la proposition que va faire ce matin devant les députés Frédéric Valletoux,président de la Fédération hospitalière de France qui regroupe les 1 100 établissements publics du pays et leurs 90 000 salariés.

SUR LE MÊME SUJET
Frédéric Valletoux va proposer un assouplissement des 35 heures à l’hôpital, arguments en main.

La FHF a en effet réalisé entre le 20 août et le 11 septembre une enquête auprès de 151 établissements pour tenter de mesurer les conséquences de la réduction de temps de travail, douze ans après leur entrée en vigueur à l’hôpital. Cette enquête sans précédent, que « le Parisien » – « Aujourd’hui en France » a pu consulter, ressemble à un véritable réquisitoire.

Des situations très hétérogènes. C’est la première surprise de cette étude : loin d’avoir été appliquée uniformément sur le territoire, la réforme a été une grande source d’inégalités, se traduisant, selon les hôpitaux et les accords signés, par une compensation de la réduction du temps de travail (RTT) allant de moins de 10 jours par an à près de 30 jours. « Sous la pression, les établissements ont maintenu les organisations en place au moyen d’une durée journalière de travail proche des 8 heures, d’où un nombre important de RTT accordé. » Autres inégalités révélées : 1 hôpital sur 2 considère le temps de repas comme du temps travaillé ; de même, le temps de formation donne droit à RTT dans 1 établissement sur 4, tandis que les congés maternité génèrent dans tous les cas des RTT.

Conditions de travail dégradées. Les personnels qui espéraient un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle avec les 35 heures ont dû déchanter. En effet, la promesse de 37 000 créations de postes non médicaux pour compenser la réduction du temps de travail n’a jamais été tenue. En définitive, les hôpitaux n’ont été autorisés à en créer que 32 000. Et les 5 000 emplois de médecins promis n’ont pas tous vu le jour faute de moyens et de candidats, note l’étude. Cette compensation insuffisante entraîne fréquemment des changements de planning de dernière minute. Pour faire face à leurs missions, les hôpitaux multiplient aujourd’hui les organisations dérogatoires basées sur 12 heures consécutives de travail, constate l’étude. « In fine, la mise en place de la RTT ne s’est donc pas traduite par une baisse significative de la pénibilité et encore moins de l’absentéisme », résume la FHF.

Coûteuses 32 h 30 nocturnes. Le temps légal du travail de nuit à l’hôpital a été plafonné en 2004 à 32 h 30 par semaine du fait de sa pénibilité et pour tenir compte de la RTT. Cependant, le surcoût de cette décision a été très élevé pour les hôpitaux note la FHF, qui avance le chiffre de 69 M€.

Explosion de la facture de l’intérim. Pour compenser les absences de personnels et les 24 % de postes de praticiens hospitaliers non pourvus, les hôpitaux ont fait appel à l’intérim. En 2011, cette facture a bondi de 23 % en un an, pour passer à 67 M€, auxquels il faut ajouter 700 M€ de rémunérations des contractuels.

La bombe à retardement du CET. Le compte épargne-temps (CET) se voulait une réponse à la difficulté d’organiser les plannings à l’hôpital et aux attentes légitimes des médecins. Contraints de les liquider tous les dix ans, les bénéficiaires ont réclamé en 2012 le paiement de… 5,9 millions de jours stockés sur leurs comptes, ce qui fut fait en partie seulement. Ces CET, souligne la FHF, continuent de grossir comme une vraie bombe à retardement, qu’il faudra désamorcer.

Le Parisien
Hôpital public : «Il faut plafonner les RTT à 15 jours par an»
Propos recueillis par D.R. | Publié le 18.09.2014, 08h34

Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France est auditionné ce matin par la commission d’enquête parlementaire créée en juin par les députés pour évaluer l’impact de la réduction progressive du temps de travail. Il livre ici en avant-première les propositions qu’il va défendre.
Qu’allez-vous suggérer à la commission d’enquête ?

Frédéric Valletoux. Une étude que nous avons menée auprès de 151 hôpitaux publics montre que les 35 heures sont devenues un carcan qui a dé stabilisé l’hôpital, car les moyens n’ont pas suivi. Entre 2002 et 2012, la masse salariale des hôpitaux publics, qui représente 70 % de leur budget, a augmenté de 30 % ! Ça a énormément majoré le coût du travail. Par ailleurs, la situation devient impossible à assumer en termes d’organisation. Aujourd’hui, on commence par gérer le temps de travail des personnels et, ensuite seulement, on organise la prise en charge des patients. Il faut se recentrer sur la prise en charge des patients. Je ne dis pas de faire une croix sur les 35 heures, je dis : redonnons de la souplesse au système. Les 35 heures ont augmenté la pénibilité et l’absentéisme, ça ne doit plus être un sujet tabou.

Comment voyez-vous cet « assouplissement » ?

Notre étude démontre qu’il y a des situations très hétérogènes, avec un nombre de RTT qui varie de 0 à plus de 20 par an selon l’établissement. Nous proposons de plafonner les RTT à 15 jours par an. Cela permettra de dégager 640 000 journées de travail par an, soit 3 200 équivalents temps plein, soit encore 413 M€. Il faut permettre aux établissements de déroger au carcan des 35 heures et le faire dans une approche de territoire, tout comme veut le faire la ministre de la Santé pour les soins : les besoins ne sont pas partout les mêmes, ils varient aussi selon le type d’hôpital, les spécialités…

Cette réduction se ferait-elle avec compensation ?

Les hôpitaux n’en ont pas les moyens, ça doit se faire à moyens constants. Il faut réduire le temps de travail quotidien, d’un quart d’heure, d’une heure… au choix et réduire parallèlement le nombre de jours de compensation.

Ne craignez-vous pas des réactions ?

Certains établissements ont tenté de faire bouger les choses et se sont heurtés à des difficultés. L’hôpital Sud francilien de Corbeil-Essonnes, en revanche, a pu réduire le nombre de RTT de 18 à 15. 44 % des établissements interrogés dans notre étude indiquent avoir déjà renégocié les accords de 2002. Une quarantaine déclarent par exemple avoir renégocié le nombre de jours de RTT, 38 disent avoir revu la durée du travail quotidien. Dans 93 % des cas, ces discussions ont abouti.

Pourquoi cette proposition aujourd’hui ?

A l’heure où on demande aux hôpitaux 5 Mds€ d’économies, la situation n’est plus tenable. Il y a des tensions sociales fortes sur le terrain. Les patients voient jusqu’à 4 personnes différentes par jour s’occuper d’eux. Enfin, c’est au ministère d’initier cette remise à plat, la Fédération n’en a pas les moyens.

Le Parisien