Réforme du CESEDA : l’USP s’inquiète de deux changements nocifs

Le projet de loi « relatif au droit des étrangers en France » (réforme du CESEDA) doit être discuté à l’Assemblée Nationale. L’USP rappelle tout d’abord que, contrairement aux déclarations officielles parlant d’un texte « équilibré » (entre lutte contre l’immigration irrégulière et meilleures conditions pour les étrangers séjournant en France), ce projet de loi perpétue les réformes précédentes et contribue à pérenniser la précarité du droit au séjour des étrangers et la suspicion à leur égard. L’USP, comme syndicat de psychiatres soucieux à la fois des soins et du respect des libertés publiques, souhaite insister plus particulièrement sur deux changements introduits par ce projet de loi, qui lui paraissent particulièrement nocifs. I- L’évaluation médicale pour les demandes de titres de séjour « étrangers malades » Actuellement, lorsqu’une personne demande en préfecture la délivrance d’un titre de séjour dit « étranger malade » (lorsqu’il n’y a pas de « traitement approprié » dans son pays d’origine), l’évaluation médicale consiste en un avis donné par les médecins des ARS (agences régionales de santé), les MARS, dépendant donc du ministère de la Santé, dans une logique de protection de la santé. Avis dont nous rappelons qu’ils sont de moins en moins suivis par les préfets lorsqu’ils sont favorables. Le projet de loi prévoit de revenir à la notion « d’accès effectif au traitement approprié » dans le pays d’origine, ce qui est mieux, mais l’intérêt de ce changement est balayé par celui de l’évaluation médicale qui serait effectuée par un collège de médecins de l’OFII (office français de l’immigration et de l’intégration), dépendant du ministère de l’Intérieur. Or ces médecins ont des compétences exclusives de médecine de contrôle et dépendent directement du ministère de l’Intérieur, dans une logique de contrôle des étrangers et des flux migratoires. Un des arguments mis en avant pour ce changement est la variabilité des avis des MARS d’un département à l’autre et la compétence des médecins de l’OFII « habitués à la problématique des étrangers puisqu’il font passer 200 000 visites médicales par an ». Or : – La variabilité des avis médicaux est une constante dans tout le champ médical ; par exemple en psychiatrie, les soins sous contrainte varient dans une proportion de 1 à 10 suivant les départements, sans différence épidémiologique liée aux pathologies diagnostiquées pouvant l’expliquer. – L’indépendance des médecins ne saurait être garantie par leur seule déontologie, mais dépend aussi de la solidité de leur cadre statutaire et du sens de leurs missions ; deux exemples : la dégradation de la médecine du travail depuis la réforme qui a fragilisé le statut des médecins du travail par rapport aux employeurs ; et en psychiatrie la dénonciation par le CGLPL (contrôleur général des lieux de privation de liberté) du rattachement des psychiatres de l’IPPP (infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris) au préfet de police de Paris alors même qu’ils participent aux hospitalisations sous contrainte faites à l’IPPP. L’USP demande donc que l’évaluation médicales pour les demandes de titre de séjour « étranger malade » ne soit pas confiée aux médecins de l’OFII, mais à des médecins dépendant du ministère de la Santé, dans une optique stricte de protection de la santé. II- L’hallucinant projet d’article L611-12 (créé par l’article 25 du projet de loi) nécessite d’être cité intégralement : « sans que s’y oppose le secret professionnel autre que le secret médical, les autorités et personnes privées visées aux alinéas suivants transmettent à l’autorité administrative compétente, agissant dans l’exercice des missions prévues au présent code et sur sa demande, les documents et informations strictement nécessaires au contrôle de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou de l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution d’un droit au séjour ou de sa vérification. Ce droit de communication s’exerce, à titre gratuit, quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents, auprès : – des administrations fiscales – des administrations chargées du travail et de l’emploi – des autorités dépositaires des actes d’état civil – des organismes de sécurité sociale et de l’institution visée à l’article L 5312-1 du Code du travail – des collectivités territoriales – des chambres consulaires – des établissements scolaires et d’enseignement supérieur – des fournisseurs d’énergie, de télécommunication et d’accès internet Des établissements de soins publics et privés – des établissements bancaires et des organismes financiers – des entreprises de transport des personnes – des greffes des tribunaux de commerce L’autorité administrative définie au premier alinéa peut, aux mêmes fins, consulter les données pertinentes détenues par ces autorités et personnes privées ». Son objectif est de détecter des documents frauduleux. Cela ouvre à des pouvoirs exorbitants des préfectures et des consulats sur la vie privée. Si cela devient possible pour des « étrangers », pourquoi pas pour tout un chacun demain ? Le secret médical resterait le seul secret professionnel épargné, mais il faut savoir que la loi Santé en cours d’examen prévoit une large et dangereuse extension du secret partagé et bien des éléments médicaux se retrouveront donc communicables par d’autres. La confidentialité et le respect de la vie privée étant déjà mis à mal par de nombreux textes et fichiers, nous sommes atterrés, comme médecins, qu’un tel article de loi puisse voir le jour. Nous en demandons bien évidemment le retrait. En résumé, l’USP demande le retrait : – de l’évaluation médicale de personnes étrangères malades par des médecins dépendant du ministère de l’Intérieur (CESEDA art L313-11 modifié par l’article 10,3° du projet de loi), – du libre accès par les préfectures et les consulats à des données très nombreuses détenues par des administrations et des entreprises privées sur des personnes étrangères (article L611-12, dans l’article 25 du projet de loi).

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