L’austérité nuit gravement à la santé – Intervention de Philippe Gasser au dispensaire d’Halandri, 19 mars 2016

Ou comment les processus des politiques néo libérales sont universels, et produisent les mêmes effets sur la santé publique dans tous les pays. (Intervention au dispensaire d’Halandri, 19 mars 2016) Philippe GASSER Psychiatre, Président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie Membre du Collectif France-Grèce-Santé-Solidarité Nîmes, France Une des premières mesure des gouvernements néo libéraux est de réduire les dépenses publiques ; une des premières conséquences est la réduction – ou suppression – des allocations chômages, des cotisations sociales des entreprises (là où elles existent) au nom de la « compétitivité «, des retraites et donc de précariser la protection sociale pour ceux qui en bénéficient. En matière de santé, le choc de l’austérité est brutal : déremboursement des médicaments, des consultations médicales, majoration du « reste à charge » (ce qui reste à payer par le patient, qui n’est pas pris en charge par la sécurité sociale) pour les hospitalisations et les soins médicaux. Des prestations para médicales (kiné, orthophonie) ne sont parfois plus du tout pris en charge, et certaines spécialités « couteuses » sont de plus en plus mal remboursées (dentiste, ophtalmologie). Les structures de santé sont aussi directement impactées par les politiques néo libérales, car des hôpitaux ou maternités de proximité ferment aussi, pour cause de « non rentabilité ». La santé des citoyens est ainsi directement impactée , d’une part du fait de la réduction de prise en charge sur le plan financier, mais aussi, dans les zones rurales, par le manque de structures et d’acteurs de soins, désormais concentrés dans les zones urbaines, où les patients précaires n’ont pas toujours la possibilité de se déplacer ; en France, on estime ainsi officiellement que 20 % de la population a dû renoncer au moins une fois à des soins « non urgents » depuis 2010. La psychiatrie et la santé mentale sont aussi durement touchées par ces politiques d’austérité : les pays qui, comme la France , fonctionnent sur le principe d’une politique de santé mentale basée sur la notion de SECTEUR où, pour une population donnée correspondent des équipements nécessaires à la prise en charge ambulatoire – centre médico-psychologiques , hôpitaux de jour – ou hospitalière (à temps plein) sur tout le territoire, voient leurs possibilité d’intervention réduites , à cause de la fermeture de structures , « justifiées » par les autorités par leur coût de fonctionnement et par le manque de personnels . En fait, les infirmier(e)s et soignants partant à la retraite ne sont pas remplacés, d’autres sont regroupés dans des centres hospitaliers en ville, et rien n’est fait pour favoriser l’implantation des médecins et des psychiatres en zones rurales. Il s’en suit ainsi des inégalités dans l’accès aux soins et surtout aux soins psychiques sur le territoire et la création de déserts médicaux. La précarisation de la population qui souffre de troubles mentaux est aussi liée à un défaut de soins et de prise en charge , tant sur le plan psychiatrique que sur le plan sociale : les politiques d’austérité impactent aussi bien l’accès aux soins que les déterminants de santé et de santé mentale : faibles revenus, hauts loyers , augmentation du chômage, dégradations des conditions de vie et de travail – pour ceux qui en ont –, de l’environnement et des relations sociales et familiales ,qui entrainent une majoration des troubles psychiques, dans le même temps où diminuent les capacités de leurs prises en charge. De fait, on retrouve un certain nombre de personne souffrant de troubles mentaux, et beaucoup de troubles psychotiques, dans la rue (« sdf « : sans domicile fixe), et plus en plus en prison, où ils ont pu être incarcérés pour des délits mineurs (vols, drogues) et sont ainsi très mal – ou pas – soignés. Sur le plan économique, et malgré l’existence de la CMU (couverture maladie universelle), crée en 1999 et récemment remplacée, en France, par la PUMA (protection universelle maladie), tous les soins ne sont pas pris en charge par l’état à 100 %, même pour les plus pauvres ; en effet, l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et son département qui s’occupe du commerce des service (AGCS = accord général sur le commerce des services), crée en 1995 dans le but de favoriser la « libre concurrence » dans le domaine des services, y compris pour les services publics, dans tous les pays, a menacé la France et a entamé une procédure, dans sa « commission des conflits », pour « concurrence déloyale » et « entrave à la libre concurrence » si le pays continuait à « subventionner » l’intégralité de la couverture maladie des patients, prétextant que les assurances complémentaires (privées) devaient pouvoir avoir accès à ce marché, et que les assurances, même en matière de maladie, ne pouvaient être le monopole de l’Etat. Depuis, et selon les situations, l’Etat français assure donc une majeure partie de cette CMU (70 à 90 % selon les cas), mais, pour respecter l’AGCS (qui figure dans les directives européennes), il a créé un « fond d’aide à l’assurance complémentaire » qui permet aux patients qui ne pourraient payer d’accéder à une assurance complémentaire privée (ACS = aide à la complémentaire santé). L’Etat et l’assurance maladie publique sont donc réduits à financer ainsi les assurances privées … ! Les conséquences globales des politiques d’austérité amènent donc une attaque des services publics, où qu’il soient et quels qu’ils soient, qui se transforment en « délégation » de service public au profit des structures privées, notamment dans les transports (bus) et dans le domaine de la santé : ici les charges les plus lourdes et les soins les plus couteux pour la collectivités restent à charge du public, tandis que le privé s’octroie les soins les plus lucratifs (courts séjours, imagerie médicale, prise en charge des pathologies névrotiques plutôt que des psychoses lourdes etc.). Cette politique impacte aussi les personnels, dont le nombre se réduit pour effectuer une même charge de travail, et dont le rythme de travail (sur la journée, sur la semaine) se voit modifié et amplifié de manière imposée (recul sur la semaine des 35 heures, en France)… avec des temps de congés ou de récupérations qui existent toujours. En théorie, mais que les personnes n’ont jamais le temps de prendre en raison de la réduction des effectifs ! Nous assistons donc, dans tous les pays, à un processus de MARCHANDISATION de la santé, que ce système sort du domaine des « biens communs » pour le faire rentrer dans celui des biens « marchands », comme le veut l’accord sur le « commerce des services (AGCS) de l’OMC (organisation mondiale du commerce). Ainsi des actionnaires et fond de pensions (nord-américains notamment), investissent dans la santé (cliniques, laboratoires), dont ils espèrent tirer un PROFIT, au mépris de la santé publique et de la réponse aux besoins des populations… et si le profit n’est pas suffisant, ils abandonnent l’ »affaire » pour aller investir ailleurs, laissant les structures de soins à l’abandon, sans moyens et en quasi faillite !! Les acteurs de santé sont aussi, de fait impliqués dans ce système « productiviste » : les responsables de services médicaux, à l’hôpital public, reçoivent, en France, une formation de gestionnaire, pour leur apprendre à « produire » du soin « rentable » (au dépens d’une formation de santé publique qui pourrait leur appendre à évaluer les besoins des patients et à y répondre efficacement). Les médecins, comme les directeurs d’hôpitaux sont « formatés » dès leur formation initiale : en France, comme dans d’autres pays, on a introduit la « prime à la performance » (pour les médecins de ville) qui ont de « bons » résultats avec leurs patients… l’effet pervers est immédiat et aboutit à une SELECTION des patients « intéressants » pour les médecins : mieux vaut ne pas prendre en charge un insuffisant rénal, ou une psychose lourde, dont la « guérison » demeure aléatoire, et peu lucrative pour le médecin. Les chefs de services hospitaliers ont également le même genre d’« intéressement » aux résultats, pour l’attribution des budgets (basé, par exemple sur la durée de séjour : en psychiatrie elle est d’environ 23 jours en moyenne à l’hôpital…) : celui qui gardera plus longtemps ses patients mal stabilisés sera « mal considéré » par les instances dirigeantes et administratives de la santé… résultats : de plus en plus de patients, en psychiatrie, voient leur durée d’hospitalisation réduite, alors qu’ils auraient parfois besoin de plus long séjours , et sortent de l’hôpital incomplètement stabilisés… quitte à retourner en hospitalisation quelques semaines après (phénomène des « portes tournantes » bien connu aux Etats unis depuis des années…) En France, les directeurs des hôpitaux publics, eux aussi, « bénéficient » d’une « prime au rendement et à la performance » (PRF), calculée selon des critères de rentabilité économiques et de réduction des dépenses et des investissements, ce qui ne permet pas le développement, et encore moins la création de services de soins ou de post cure pourtant nécessaires au traitement et aux suivis des patients. Au total, c’est tout le système de santé, et les personnes qui devraient en bénéficier, qui souffre des politiques austéritaires néo libérales, qui placent le « bénéfice » ailleurs que dans l’Humain !! Des solutions existent pourtant : – Tout d’abord le développement des solidarités, dans la communauté afin de ne jamais laisser s’isoler une personne en souffrance, même si elle ne peut avoir directement accès aux soins. – D’autre part un certain nombre de collectifs et d’associations d’« usagers de la santé » luttent pour obtenir une reconnaissance statutaire qui leur permettrait de siéger aux conseils d’administration des hôpitaux publics, afin de tenter d’en infléchir la politique en matière d’accès aux soins. Il s’agit aussi ici d’obtenir la reconnaissance des pouvoirs publics afin d’être reconnus par le ministère de la Santé comme interlocuteur, afin de tenter de se faire entendre pour les orientations de santé publique ou de santé mentale : en France, par exemple, c’est le cas du collectif « Notre santé en Danger », ou de la coordination de défense des hôpitaux et maternités de proximité. – En santé mentale, un collectif regroupant professionnels de la santé, syndicalistes, patients et familles ou proches de patients a également été constitué depuis quelques années pour agir vis-à-vis des pouvoirs publics (« les 39 »). – En psychiatrie toujours, il s’agit de développer les alternatives à l’hospitalisation à temps plein : hôpitaux de jour, Centre médico-psychologiques pour enfants, adolescents et adultes, CATTP (centre d’accueil à temps partiel, où se pratiquent des activités de groupes a visée « intégratives » pour des personnes désinsérées socialement, GEM (Groupement d’Entraide Mutuelle, structures dont la création peut être favorisée par des soignants, mais qui sont gérées par des patients et des associations ), etc. Malheureusement, le manque de personnels permet de moins en moins l’émergence de telles structures qui vont plutôt en diminuant et en régressant dans les modes d’abord proposés… – Enfin, il faut restaurer, en France, le processus démocratique qui présidait à la création de la Sécurité sociale en 1945, où le principe était que « chacun cotisait selon ses moyens et recevait selon ses besoins »… Les citoyens participaient alors aux élections de leur représentants (par le biais des syndicats) pour la gestion de la Sécurité sociale… alors qu’il n’y a plus eu d’élections à la sécurité sociale depuis près de 30 ans, et que c’est maintenant le gouvernement qui avec le patronat (MEDEF = organisation représentante des patrons) ordonne arbitrairement les dépenses de l’Assurance maladie chaque année. En conclusion, et surtout dans le champ de la santé mentale, mais aussi dans tous les domaines concernant la santé publique, rappelons que la santé n’est pas une affaire de « spécialistes », mais intéresse tous les citoyens et doit fonctionner sur le mode d’une démocratie sanitaire participative (c’est-à-dire impliquer les citoyens à chaque étape de décisions des orientations des politiques de soins et de leur remboursement).

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