Le « patient expert » en question

Paris, le samedi 17 juin 2017 – Beaucoup a été dit sur l’évolution de la relation médecin/malade ces dernières décennies et sur la volonté des patients d’être davantage impliqués dans les décisions les concernant. Ce phénomène s’est accompagné d’une remise en cause de l’attitude parfois infantilisante de certains praticiens rejetée par un nombre croissant de malades. Par ailleurs, la progression de la fréquence des maladies chroniques et la nécessité d’obtenir de la part des patients une observance soutenue de leurs traitements et de leur suivi imposent une plus grande responsabilisation de ces derniers.

Dans ce cadre, les associations de patients offrent souvent un soutien important, en termes d’accompagnement des malades, voire même d’éducation thérapeutique. Cependant, cette évolution n’est pas sans dérive quand certains se réclament du « titre » de « patient expert » qui recouvre des champs et des missions diverses.
Pour nous, le professeur André Grimaldi (Pitié-Salpêtrière) revient sur les enjeux qui se profilent derrière l’émergence des « patients experts », sur les avancées positives permises par l’implication des malades mais également sur les limites d’une revendication d’expertise.

Il signale notamment comment cette évolution remet en cause certains des principes censés aujourd’hui sous tendre la relation médecin/malade qui insistent sur l’importance de ne pas réduire le patient à sa pathologie. Il rappelle en outre que la démocratie sanitaire, pour essentielle qu’elle soit, se doit de répondre aux prescriptions de transparence si souvent rappelées par ailleurs. Analyse qui évite toutes les caricatures mais qui invite à la réflexion sur des avancées pas nécessairement toujours mises à distance.

Par André Grimaldi, Professeur émérite CHU Pitié Salpêtrière*

Le développement de l’information et de l’éducation des patients, le rôle important
joué par les associations de malades indépendantes devenues incontournables depuis l’épidémie du sida, expliquent que les personnes atteintes de maladies chroniques sont souvent plus compétentes sur leur maladie et son traitement que les professionnels de santé non spécialisés. Les patients atteints de maladies chroniques depuis plusieurs années ont acquis non seulement des connaissances générales mais des savoirs expérientiels personnels (par exemple les symptômes personnels d’hyper ou d’hypoglycémie pouvant varier d’une personne diabétique à l’autre et non tous répertoriés dans les traités médicaux). Leur observation a parfois précédé la connaissance scientifique. Nous avions du mal à croire les patients lorsqu’ils nous expliquaient qu’à contenu en glucides identique, le chocolat est moins hyperglycémiant que le pain. Et pourtant ils avaient raison ! Le patient atteint de maladie chronique expérimenté a donc une expertise par rapport au patient novice ou au professionnel non spécialiste. Mais ce n’est pas cette donnée ancienne qui explique la nouveauté du qualificatif revendiqué de « patients experts ».

Faire de sa maladie son métier…

A qui s’adressent les patients qui mettent en avant ce qualificatif « d’expert » ? D’abord à nous, les médecins, et ensuite aux autorités de santé. Aux professionnels spécialisés que nous sommes, ils disent « vous êtes les experts de la maladie, nous sommes les experts du vécu avec la maladie !». Ce faisant, ils nous ont pris à revers. En effet la règle éthique pour laquelle nous militons contre ceux qui pensent qu’un malade n’est qu’un dossier médical partagé (un DMP), est de ne jamais réduire un malade à sa maladie. Le suivi du patient atteint de maladie chronique relève d’une médecine intégrée, biomédicale, pédagogique, psychologique, sociale et culturelle : c’est une médecine de la personne. Et voilà des patients qui viennent nous dire « Je suis ma maladie. La maladie est le sens de ma vie, j’y consacre l’essentiel de mon temps et je veux en faire mon métier ! ». L’histoire d’un certain nombre d’entre eux se ressemble : fortes personnalités, ayant d’abord refusé leur maladie, ayant parfois payé cher ce refus initial. Après un évènement médical majeur impliquant un tournant dans leur vie, elles changent radicalement en décidant de faire partager leur expérience et les leçons qu’elles en ont tirées. Elles décident d’aider les autres patients à accepter leur maladie pour mieux se soigner et en même temps d’aider les professionnels à améliorer leur relation aux patients en abandonnant le paternalisme moralisateur autoritaire ou l’indifférence froide du technicien dont elles ont pu être victimes. Finalement, elles se soignent en voulant soigner les autres.

Peut-on vraiment être un « patient expert » ?

Mais que veut dire être spécialiste du vécu avec la maladie ? Autant de malades, autant de vécus différents, même si tous ont été confrontés à un travail de deuil et au regard des gens « normaux » . Le spécialiste en la matière s’appelle un psychologue ou un psychiatre. Le « patient expert » ne saurait donc devenir un métier comme le souhaitent certains qui proposent une formation, une validation sélective avec « des collés et des reçus », une certification après une période probatoire puis une recertification régulière. Va-t-on demander à ce patient expert-professionnel d’être un patient modèle, parfaitement observant ? S’il est diabétique devra-t-il avoir une HbA1c inférieure à 7% ? Aura-t-il accès au dossier médical des patients qu’il est censé aider ? Ces patients auront-ils en retour accès à son dossier ? Assistera-t-il aux réunions de synthèse où les différents professionnels discutent du dossier de chaque patient ? Pourra-t-il poser sa plaque et s’installer en ville comme « coach de santé » ?

Des références oui, des experts peut-être pas

Par contre un patient expert pour lui-même qui connaît bien la maladie et son traitement, qui a connu des difficultés et a su les surmonter et qui finalement se connaît bien lui-même, peut être un patient ressource pour d’autres patients. Encore faut-il qu’il sache écouter et transmettre, et qu’il ait du temps à consacrer aux autres bénévolement. Il n’est pas recruté sur son CV mais par un choix mutuel avec une équipe soignante et sous la responsabilité du responsable de l’équipe et de l’établissement de soins. Il peut bien sûr aussi être un patient aidant au sein d’une association et sous la responsabilité de cette dernière. Ce patient ressource singulier, ne prétendant pas parler pas au nom de tous les patients est également très utile dans le cadre de l’enseignement aux étudiants en médecine de la relation médecin /malade, notamment en ce qui concerne les contre-attitudes des soignants. Ceci est également vrai pour les étudiants en soins paramédicaux.
Démocratie sanitaire : la transparence s’impose même pour les patients experts
Le « patient-expert » demande également à être reconnu par les autorités de santé pour participer aux différentes instances du système amenées à prendre des décisions concernant les patients, qu’il s’agisse des commissions d’évaluation des pratiques de soins ou de respect des droits des malades dans divers établissements de santé, des commissions décidant de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments et des dispositifs médicaux ou de la négociation de leur prix, ou de commissions chargées de la rédaction de recommandations médicales par la Haute autorité de santé (HAS), ou encore de l’utilisation des données de santé… Ces patients experts y représentent les associations. C’est un élément important de la « démocratie sanitaire » à laquelle participent les associations de patients même si elles n’en n’ont pas le monopole. Pour jouer leur rôle, ces patients experts associatifs devraient avoir suivi une formation spécifique en santé publique et devraient être soumis aux règles nouvelles de la démocratie : pas de conflits d’intérêts, déclaration des liens d’intérêts avec l’ensemble des organismes privés en rapport avec la santé (industriels, mais aussi mutuelles, établissements de santé divers….) limitation dans le temps du nombre de mandats. Pour assurer cette mission les associations doivent être rémunérées et les patients-experts associatifs doivent être indemnisés.

Le patient est d’abord quelqu’un qu’il faut soigner

Il nous paraît donc nécessaire de clarifier le terme de « patients experts » qui recouvre des patients ressources pour d’autres patients sous la responsabilité d’établissement de santé ou d’associations, des patients participant à l’enseignement, et des patients experts intervenants au titre de la démocratie sanitaire. Dans tous les cas, rien à voir avec le patient « consommateur éclairé », cher aux économistes libéraux et aux assureurs des complémentaires santé qui pensent que la santé est un business comme les autres, que le professionnel n’est qu’un prestataire « offreur de soins » et que seule la libre concurrence permet d’obtenir la qualité au plus bas coût. Ils oublient que le patient est d’abord une personne angoissée demandant de l’aide, raison pour laquelle les médecins ont prêté serment de ne pas abuser de cette asymétrie relationnelle structurelle.

Les intertitres sont de la rédaction du JIM.

* Co-auteur du livre Les maladies chroniques, vers la 3ème médecine aux Editions Odile Jacob 2017

Copyright © http://www.jim.fr