Note de lecture sur « L’explosion de la violence » d’Olivier Labouret

Olivier Labouret dans son ultime livre, L’explosion de la violence (paru en septembre 2017 aux éditions Yves Michel) s’inscrit dans une analyse de la société qui est assurément antilibérale. Celui qui fut président de l’USP il y a de nombreuses années, avant de s’en éloigner puis de rompre, nous a quittés malheureusement. Il est mort accidentellement en montagne alors que son livre allait paraître, nous aurions aimé discuter avec lui des thèses qu’il nous propose. La critique que je propose ici de son livre se veut un hommage. C’est la reconnaissance d’une pensée originale et forte, avec laquelle j’ai aussi des désaccords. Il nous laisse des hypothèses de travail que nous avons à prendre en compte. L’hypothèse de base de son livre est une « explosion de la violence » sans que cette explosion ne soit démontrée. Il y a en France un nombre de morts violentes ces dernières années beaucoup moins importantes que durant les années 70 et 80 par exemple. Les guerres dans le monde sont moins tueuses globalement qu’il y a dix ou vingt ans. Mais nombreux parmi nous sont ceux qui ont le sentiment d’une violence subie qui serait croissante. Cela est largement dû aux faits divers qui occupent une place importante dans la presse, et auxquels Olivier Labouret s’intéressait dans son livre. Et de façon plus générale, cela est dû à une politique de la peur qui est cultivée par les idéologues du néolibéralisme dont l’USP a participé avec d’autres dont le Collectif national unitaire anti-délation ou encore le Collectif des 39 à mener une critique rigoureuse. Ceci dit, nous pouvons faire l’hypothèse d’une violence à venir croissante du fait de l’explosion des inégalités entre pays dans le monde et dans chaque pays. Et rejoindre la préoccupation de l’auteur. Le livre commence par un récit de l’expérience qu’il a vécue dans l’hôpital où il travaillait. C’est un premier exemple de la « violence institutionnelle » qu’il dénonçait. Je ne le suis pas dans sa dénonciation des syndicats comme agents de premier plan de cette violence institutionnelle aux côtés des ARS et des directions ; il écrit ainsi : « Une collusion d’intérêts s’est opérée entre les injonctions gestionnaires de la direction et de l’État, l’autorité scientiste du corps médical et la puissance conservatrice de l’organisation syndicale ». Mais la violence institutionnelle, qui me semble organisée par les gestionnaires avec l’appui de certains médecins au détriment de la majorité des autres acteurs de l’institution hospitalière, va bien de la psychiatrisation des faits divers à l’augmentation des soins psychiatriques sans consentement, ce dans le contexte d’une augmentation des atteintes aux libertés individuelles, en accord avec la démarche qu’il nous proposait. La souffrance au travail devient le lot commun : « La perte de toute indépendance déontologique des agents, l’obligation qui leur est faite de se plier aux nouvelles pratiques gestionnaires et de se contrôler, de s’évaluer eux-mêmes en permanence génère une souffrance professionnelle extrême mais indicible ». Dans cette évolution, nous ne pouvons qu’être à l’écoute de son interrogation sur la responsabilité en propre des médecins : « liés d’une façon ou d’une autre aux lobbys bio-techno-économiques, la plupart des médecins restent peu enclins à s’interroger de façon critique sur cette évolution redoutable de leur art et les risques de robotisation de déshumanisation, de surveillance de masse ». Il visait juste aussi lorsqu’il nous proposait : « le phénomène de psychiatrisation de la violence est aujourd’hui général », en référence aux faits divers où on dit fou le criminel. Le fou est « victime émissaire de tous les passages à l’acte ». Et en particulier, « voir dans l’islamisme radical un délire collectif détaché de toute causalité systémique serait une erreur tragique ». Mais à suivre l’auteur, le discours de l’opinion publique sur les fous violents « tel que les médias s’en font les porte-voix » est en continuité totale avec les conceptions de l’humain par certains théoriciens des TCC, et avec la psychiatrie globalement, comme avec la psychanalyse comme participant au même titre que le reste de la psychiatrie à la psychologisation du monde. Je pense qu’il y a discontinuité entre un discours commun dominant et les discours médiatiques, comme entre l’idéologie TCC et le reste de la psychiatrie existante, et encore entre la psychanalyse et la psychiatrie. Ces débats sont d’ampleur et sont nécessaires. « Contrairement à ce que le psychologisme veut nous inciter à croire, il n’y a pas de «réalité psychique interne» détachée des contraintes sociales, politiques, économiques (…) ». Je crois nécessaire de préciser que la rencontre d’un sujet parlant en colloque singulier ne signifie pas une indifférence au contexte social et économique de sa vie qu’il peut évoquer. Par ailleurs, cela n’induit pas pour autant un savoir précis sur l’évolution du monde chez le psy qui l’écoute. Olivier Labouret continue : « par l’interprétation médicale et individuelle de la dépression », il s’agit de « nier par le biais de la psychiatrie la violence du monde contemporain » et donc la psychiatrie est un « formidable instrument de servitude volontaire ». Les classes dominantes ne me semblent avoir une pensée très élaborée concernant la psychiatrie, des affirmations scientistes et un comportementalisme sommaire semblent leur tenir lieu de pensée. Ceci dit, la psychiatrie pourrait se retrouver, sans que nul n’y songe, par logique structurelle, en position de participer à nier la « violence contemporaine » ; ce qui me paraît inexact, elle est appelée plutôt à enfermer la folie stigmatisée comme dangereuse et à la réduire selon les fortes maximes que Sarkozy énonça en 2008. L’auteur nous propose aussi des réflexions sur la clinique psychiatrique : le caractère hypomaniaque en phase avec l’accélération de la vie et la logique de performance de notre époque, le « trouble bipolaire » comme pathologie culturelle contemporaine, le TDAH – trouble déficit de l’attention/hyperactivité – comme symptôme construit socialement. Ces hypothèses bienvenues me semblent riches ; je remarque cependant que la critique du TDAH initiée par G Pommier et G Bulat-Manenti a précédé cette critique-ci. Ce livre est d’un individualisme radical : même les mouvements sociaux de 2016 ne sont lus par lui que comme parties du « conservatisme syndical ». Il se veut celui d’un lanceur d’alerte, à partir d’un grand nombre de références dont celles tirées du Monde diplomatique. Les alertes que j’ai recensées ici mérite écoute et action ; c’est un livre radical à n’en pas douter. Il exhorte la psychiatrie à comprendre la violence systémique, nous sommes quelques-uns à nous y efforcer de longue date. Mais cet appel au réveil reste toujours nécessaire.

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