Note de lecture « Un député à l’hôpital psychiatrique »

François Ruffin, reporter et député a écrit un livre « Un député à…l’hôpital psychiatrique » à la suite d’une longue visite de l’hôpital Pinel d’Amiens.

Dès l’avertissement, il nous dit : « On est en psychiatrie. La parole devrait régner en maître, un soin en soi, une thérapie. Non seulement cette parole a disparu, ou presque, avec les patients, mais également entre les soignants ».
Plus loin, il parlera du silence autour des suicides. « L’anomalie » est « dans ce silence, le vide autour : que ça ne suscite aucune réunion, aucune interrogation collective, aucun ou peu de retours sur cette expérience. Comme si c’était banal, comme si c’était intégré au fonctionnement de l’HP, machine inhumaine, qui ne va pas s’arrêter, même une minute, pour un mort.
»

Il nous livre des témoignages reçus de soignantes épuisées telle celle qui confie : « Avec notre rythme, un matin, une après-midi, une nuit, je ne tiens plus. Et à deux ici on se limite aux besoins primaires : toilette, déjeuner, médicaments, on court toujours. Je suis usée. Il ne faut pas être trop fatiguée, pourtant, sinon on perd en patience et on n’apporte plus aux malades ».
L’importance de l’extra-hospitalier, mais aussi sa mise en place « avec moins de moyens » sont mises en relief.
Ce bilan à base de témoignages est percutant, efficace, parlant. Sans novlangue technocratique ni avalanche de sigles abscons. Il est juste. Nous pouvons l’utiliser pour populariser nos exigences et revendications.

La situation des psychiatres y est décrite : de moins en moins de psychiatres, des départs du service public pour fuir des conditions de travail dégradées.
Il interroge la présidente de la Commission médicale d’établissement sur son rôle. Le pouvoir est budgétaire et détenu par l’ARS. Alors, quel « contre-pouvoir médical ? »
Les psychiatres, Ruffin les voyait « comme des intellectuels, s’organisant, organisant la résistance, face à la dictature des chiffres. ». Or, « j’ai rencontré nombre de psychiatres compétents, dévoués. Mais sans aucun sens politique. Je veux dire sans aucune conscience des rapports de force, de construire un collectif, de mener une lutte, de se fixer un but. » Et « je n’ai pas rencontré des hommes, des femmes avec qui mener une bataille. (…). Les psychiatres notamment je les regardais comme des intellectuels, je croyais qu’ils auraient des théories comme quoi l’individu se construit aussi par le conflit, qu’ils auraient pensé l’institution et ses contradictions, qu’on ferait un bout de chemin politique ensemble, qu’ils mêleraient leur savoir sur la biologie, la neurologie, la psychanalyse, aux miens, plus brouillons, des bribes d’histoire, d’éco, de socio, qu’il resterait peut-être des relents de soixante-huitards m’offrant un mixte de Deleuze, Guattari ou Foucault. »
Nous souhaitons rencontrer François Ruffin pour en parler. Et tous les député.e.s qui sont intéressé.e.s ; je pense ici tout particulièrement à Caroline Fiat dont les interventions à l’Assemblée nationale ont fait retentir de façon vécue, sensible et émouvante la souffrance au travail des aide-soignantes et d’autres personnels de santé.
Il y a toujours des psychiatres qui osent et étudient, qui tentent d’être à la hauteur de l’exigence intellectuelle de leur travail et de leur fonction. Qui militent. Il y a toujours des psychiatres qui pensent « l’institution et ses contradictions », et aussi ses expériences passées et toujours porteuses d’avenir.
Il y a même des psychiatres qui tentent aussi d’avoir un sens politique, d’analyser les rapports de force, de faire des propositions, de refuser un ghetto minoritaire ou l’entre-soi plaintif. C’est une des raisons d’être de l’USP ; pas seulement de notre syndicat, mais en particulier de lui.

Ruffin, dans son approche, cherche un point d’accroche pour son travail de député, pour un « contre-pouvoir ». Il repère le rôle des Agences régionales de santé qui allouent une DAF-dotation annuelle de fonctionnement- aux établissements psychiatriques, dotation toujours en baisse. Le directeur est aux côtés de l’ARS, pas des soignants et des soignés. Au nom d’une avancée vers l’extra-hospitalier on diminue les crédits alloués à la psychiatrie publique, mettant à mal la possibilité même de développer les institutions extra-hospitalières. Il nomme cela le « cercle vicieux ». Il attaquera sur un point qu’il repère comme névralgique, le financement, avec une proposition simple et compréhensible.

Lorsque vient le temps du débat à l’Assemblée nationale, où il intervient à partir de cette enquête. La ministre Agnès Buzyn lui répond en guise de contradiction définitive de son propos: « on ne peut pas raconter que dans nos hôpitaux aujourd’hui des patients échappent complètement à une certification ». Des patients échappent à un soin décent, cette enquête le rappelle ; ce ces patients n’échappent certes pas à une certification ni à une traçabilité.
Ils échappent aussi à des conditions de vie acceptables, à suivre la contrôleuse des lieux de privation de libertés, Adeline Hazan.
Et Ruffin insiste : il faut « couper ce nœud financier » qui étouffe la psychiatrie. Sa proposition : caler le budget des hôpitaux psychiatrique a minima sur celui des hôpitaux classiques. »
Il commence l’exposé des motifs par ces mots : « Le plus gros souci, c’est le manque de psychiatres » citant le président de l’Unafam80. « Tout fonctionne comme si, discrètement, sans le crier, les ARS procédaient à des économies sur le dos de la psychiatrie et des patients » « Afin d’ œuvrer pour améliorer le quotidien des patients, des soignants et des familles, il faut impérativement que le budget des hôpitaux psychiatriques augmente, au moins en parallèle » des « hôpitaux classiques ».
Sachant l’état des « hôpitaux classiques », nous n’aurions peut-être pas eu l’idée d’une telle formulation. Mais si nous obtenions un répit de la part du bourreau étrangleur ce serait toujours ça. L’important est que cette enquête peut devenir grand public, donner envie de lire les rapports de la défenseure des droits, et aussi de l’USP, d’autres syndicats du champ psy, ou du Collectif des 39 . Et d’engager le débat.

Ainsi nous proposons des États généraux de la psychiatrie. Ceux de 2003 à Montpellier furent un événement à l’époque ; la méthode qui fut employée pour y parvenir reste valide. Nous pouvons aussi nous inspirer de ces États généraux des migrations qui ont été lancés en novembre dernier et qui doivent se dérouler dès ce début d’année, de façon décentralisée.

Les député.e.s intéressé.e.s sont invité.e.s d’avance. François Ruffin en premier lieu.

Pascal Boissel, 6-01-2018