Article du Quotidien du Médecin 14/12/17 : Le contrat d’exercice libéral, pomme de discorde entre chirurgiens et cliniques

Insécurité juridique, redevance, prise en charge des aides opératoires
Le contrat d’exercice libéral, pomme de discorde entre chirurgiens et cliniques

Anne Bayle-Iniguez
| 14.12.2017

À l’occasion d’un colloque du BLOC, les spécialistes de plateaux techniques lourds ont témoigné de la pression économique que des grands groupes de cliniques font peser sur leurs épaules à travers leur contrat d’exercice libéral.

« Nos heures passées au bloc n’ont pas vocation à payer des manoirs anglais et des cliniques marocaines aux grands groupes ! »
La colère qui sous-tend le témoignage de cet orthopédiste a trouvé samedi dernier un écho certain auprès des quelque 80 spécialistes de plateaux techniques lourds réunis à Paris à l’occasion d’un colloque du syndicat Le BLOC sur les relations contractuelles entre praticiens et cliniques.
Plusieurs médecins libéraux – pour l’essentiel chirurgiens et anesthésistes – ont dénoncé la pression économique grandissante exercée à leur endroit par les grands groupes de cliniques dans lesquels ils exercent : Ramsay Générale de Santé, Elsan, Capio, etc.
Pour nombre de praticiens, parfois anciens propriétaires de leurs blocs opératoires et très attachés à l’indépendance, le phénomène de concentration du secteur privé hospitalier lucratif et l’ouverture de l’actionnariat aux fonds de pension étrangers affectent la relation praticiens/cliniques sur le terrain. Cette dégradation se constate en particulier au niveau de leur contrat d’exercice libéral.
Cousu main
Ne dépendant d’aucun régime juridique propre et identifié, ce contrat intuitu personæ (en fonction de la personne) régit les relations entre le médecin et la clinique. On y retrouve le profil du praticien, les caractéristiques de la clinique et les obligations réciproques : moyens fournis par l’établissement (locaux, personnels, matériel), prestations soumises à redevance (des médecins aux structures) et à quel niveau de pourcentage des honoraires, clause de non-réinstallation, durée du contrat, etc. Du cousu main.
Satisfaisante autrefois, cette liberté contractuelle est parfois vécue comme un boulet et une menace par certains médecins, qui craignent que les groupes de cliniques n’y décèlent des failles à leurs dépens. Ils n’ont pas tort, au regard de la littérature juridique quasi inexistante en la matière et des recommandations obsolètes (Ordre des médecins, comité de liaison et d’action de l’hospitalisation privée – CLAHP –, sociétés savantes) sur lesquelles les praticiens peuvent s’appuyer en cas de litige. « Le CLAHP est un organisme de concertation créé en 1977. À l’époque, les chirurgiens achetaient leur matériel qu’ils gravaient à leur nom ! », ironise le Dr Bernard Llagonne, orthopédiste à Épernay (Marne), inquiet de l’« insécurité contractuelle » des praticiens depuis l’arrivée dans le secteur des « investisseurs » non-médecins, dans les années 2000.
Plusieurs chirurgiens partagent ses craintes : une clinique peut-elle obliger un médecin à renégocier son contrat en cas de fusion ? Peut-elle déterminer pour lui le nombre d’aides opératoires dont il a besoin pour exercer ? Peut-elle l’obliger à financer l’intégralité du personnel nécessaire ?
Le Dr Philippe Cuq, coprésident du BLOC, fustige la « politique de groupe » qui consiste à « gratter un peu plus tous les jours sur le dos des médecins », notamment en gonflant la redevance. « Le brancardage, le téléphone, la fibre et les fleurs à l’accueil… En voulant nous faire payer tout cela, les cliniques signent leur propre arrêt de mort ! » tonne le chirurgien vasculaire de Toulouse.
Bon sens et consensus
Le président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) Lamine Gharbi a tenté, en vain, d’apaiser le courroux des médecins en privilégiant « le bon sens, le consensus et le dialogue » plutôt que le contrat d’exercice libéral, « qui n’est qu’un outil » entre les structures et les hommes. À titre d’exemple, il a assuré « faire une redevance la plus juste et la plus basse possible » dans son propre groupe Cap Santé (quatre cliniques chirurgicales en Occitanie, 300 médecins libéraux) mais en laissant le chirurgien « salarier ses aides ». « Vous êtes des libéraux, vous gérez une entreprise », a-t-il rappelé, renvoyant chacun à ses responsabilités.

Source : Le Quotidien du médecin n°9627