Covid-19, Macron, Castex : autant de raisons d’être inquiets (avec raison)

Emmanuel Macron a annoncé le 11 janvier 2021 la tenue avant l’été d’« Assises de la psychiatrie et de la santé mentale ». Cette annonce vient à la suite d’une déclaration en décembre 2020 de quatre personnalités qui avaient fait le buzz en annonçant une « troisième vague psychiatrique » dans la pandémie de la Covid-19, reprenant docilement la formule utilisée un mois plus tôt par le ministre Véran. Ce groupe des quatre est constitué autour de Marion Leboyer qui est présidente de la fondation FondaMental, une fondation privée soutenue et financée par l’Institut Montaigne et onze groupes pharmaceutiques, ainsi que par des cliniques privées, et aussi par d’autres entreprises capitalistes dont l’objectif philanthropique est resté très discret à ce jour, dont Dassault. L’ambition de cette fondation est de privatiser la psychiatrie (cf. son site) et de considérer le savoir psychiatrique accumulé pendant les décennies antérieures comme obsolète. Elle propose une psychiatrie reconfigurée selon les seules références aux neurosciences, ce qui relève d’un scientisme préfigurant un retour de la psychiatrie sous le giron de la neurologie, science du cerveau. Certes, on peut dire qu’il y a une recrudescence des troubles psychiatriques dans notre pays, comme tout psy du secteur public ou privé peut en témoigner. Certes, des symptômes tels que les symptômes anxieux ou dépressifs sont de plus en plus fréquents. Une hausse de 30 % des risques de nouveaux cas de dépression a été décrite par plusieurs études. Et, plus concrètement, les actifs en situation précaire, les vieux en Ehpad, les jeunes contraints à l’isolement des confinements issus de la Covid, désarrimés de leurs amitiés, amours et simples relations sociales quotidiennes sont les plus atteints ; les épisodes récurrents de suicide dans ces populations sont extrêmement préoccupants. Qui l’ignore ? Qui en doute ? Mais au-delà des bavardages médiatiques, que dire de cette évolution actuelle et persistante des pratiques d’accueil en psychiatrie, de cette augmentation si importante de la contention mécanique et de la sédation chimique, de l’augmentation des hospitalisations sans consentement ? Est-ce une fatalité ou bien est-ce une conséquence des politiques suivies depuis des dizaines d’années ? Politiques qui ont des responsables et qui se poursuivent. Cette utilisation massive de la contention en milieu psychiatrique et dans les services d’urgence est évidemment un signe gravissime de la détérioration des soins. Le secteur de psychiatrie laisse à l’abandon l’accueil de la souffrance psychique, réduit à la prescription de médicaments, sans l’approche multidimensionnelle nécessaire de la personne en souffrance… C’est, comme l’ont dit très récemment en un communiqué commun le Collectif inter-urgences et le Printemps de la psychiatrie, dû au manque d’investissement et à la politique de sous financement du gouvernement. Et pourtant, à l’inverse, de multiples adaptations, innovations, inventions ont été réalisées par temps de Covid-19 dans les services psychiatriques – malgré les bureaucrates. Au-delà des effets d’annonce de Macron, Véran, Leboyer, il reste que le « Ségur de la santé » fut une véritable provocation quant à la prise en compte des revendications salariales des personnels non médicaux, quant aux recrutements indispensables. L’ouverture de lits supplémentaires tant attendue n’a non seulement pas été au rendez-vous mais, malgré la crise, la réorganisation des hôpitaux se poursuit avec des nouvelles fermetures de lits et d’unités. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 impose à nouveau 900 millions d’euros d’économies. Bref, les soignants sont en grande détresse. Cela, Macron, Véran et leurs soutiens ne peuvent l’ignorer, car depuis 2018 les grèves d’infirmiers se sont multipliées dans les hôpitaux, en psychiatrie d’abord puis aux urgences, alertant sur la dégradation de l’accès aux soins et des conditions de travail des personnels. Dire cela c’est se retrouver en phase avec Adeline Hazan, ancienne Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui, dans son rapport de juin 2020, a fait le constat des nombreux dysfonctionnements de la psychiatrie publique, et a également fait de nombreuses propositions, plaçant en priorité le respect des droits des usagers. Les ami.e.s de Macron ne s’en soucient guère. Donc, pour conclure, nous apprenons que Macron s’intéresse maintenant à la psychiatrie. Est-ce une bonne nouvelle? On peut en douter si l’on se souvient que son ami Sarkozy s’y était intéressé aussi. Ce Sarkozy, lors d’un discours prononcé le 2 décembre 2008 devant des soignants, décrivit le « schizophrène » comme dangereux, sut expliquer au public de soignants combien il savait que « des patients peuvent soudainement devenir dangereux ». Monsieur Macron saura-t-il trouver des mots plus empreints de quelque humanité, lui qui partage avec Sarkozy la conviction que les capitalistes sont la fraction de l’humanité qui mérite toute son attention et toute son amitié ? Pour l’USP Pascal Boissel, Patrick Chemla, Jean-Pierre Martin et Delphine Glachant

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