Contribution de l’USP au groupe Offre hospitalière

26 avril 2021

La défense de la politique de secteur, dans le sens accueil, globalité et continuité, a occupé une grande place dans les échanges de la première séance de travail, les représentants du privé ayant eux-mêmes rappelé l’importance d’une ossature sectorielle solide sur laquelle ils peuvent s’appuyer. Nous reviendrons sur les questions mais la plupart des réponses aux questions posées figurent déjà dans la contribution de l’USP jointe pour rappel ; nous y avons ajouté un petit texte relatant une expérience de terrain qui évidemment n’a pas valeur de recette.  Nous ne cesserons de rappeler la toxicité des injonctions « centrales » en matière d’organisation locale, de formation, d’orientation théorique, d’activité etc au détriment de l’artisanat local mis en œuvre par les acteurs de terrain, au risque de parachever la destruction entreprise ces 20 dernières années.

Les différents intervenants ont rappelé à juste titre que les privés ou « libéraux », psychologues, psychiatres et généralistes ne s’installent pas là où il n’y a pas de services publics notamment de santé, d’hôpital de proximité et plus précisément de CMP, d’équipes de secteur et il est donc plus que dangereux d’appuyer une « réparation » de l’accès aux soins dans les déserts sanitaires sur la base de tandem généralistes et psychologues inexistants ; ajoutons que le paiement à l’acte induit une tendance à vouloir « faire du chiffre » et donc encourage à « ne pas perdre de temps » alors que cette « perte de temps » est pourtant utile. Il s’agit surtout de prendre le temps de l’accueil et de la rencontre.

Nous sommes inquiets de la formulation de certaines questions qui montre une méconnaissance de la politique de secteur comme nous le rappelions avec accueil, continuité et globalité ; de fait l’hospitalisation fait partie du dispositif sectoriel au même titre que l’hôpital de jour etc. Une même équipe adapte le travail avec le patient en fonction des besoins.

L’hospitalisation doit pouvoir se faire autant que de besoin, quand il faut et le temps qu’il faut, hors de tout critère de rentabilité, notion appartenant à la gestion d’entreprise ; elle doit pouvoir se faire autant que possible de façon directe en lien avec l’équipe. Cela implique qu’il y ait suffisamment de lits généralistes, donc cesser de vouloir diminuer le « capacitaire ». De ce point de vue la gouvernance devra impérativement être revue car il n’est pas imaginable de continuer à laisser l’initiative de fermeture de lits aux directeurs.  L’expérience a montré que certains ferment des lits par économie, pour limiter les hospitalisations. Or, cela aboutit à des retards d’hospitalisation, des sorties trop rapides, à une majoration de la violence et de la maltraitance, etc. C’est du même registre que la suppression des derniers wagons pour limiter les accidents à ce niveau.

Il faut repeupler les secteurs en personnels. Seule cette condition permet de faire de la prévention secondaire. La plupart des questions trouvent leur réponse dans l’augmentation des effectifs. Actuellement les professionnels sont tellement surchargés de travail qu’ils ne peuvent plus assurer toutes leurs missions. Par exemple, il est à noter que le défaut de psychiatres dans les secteurs ne permet pas de faire l’accueil en CMP, assurer des prises en charge dans la durée, rattraper des ruptures de suivi et finit par augmenter les passages par les urgences et le recours à l’hospitalisation. L’accueil à valeur de prévention à condition qu’il ne soit pas discriminant comme nous l’avons rappelé et de ce point de vue, il nous faudrait une explication de ce que vous entendez par « la mission de secteur s’intègre dans la gradation ».

L’accueil doit être incarné par des personnes formées et ne peut-être automatisé : « prenez votre clavier et appuyer sur la touche 2 si vous êtes schizophrène, 3 si vous êtes bipolaire, * si vous n’avez pas votre diagnostic afin d’obtenir votre rdv IRM ». Pour consolider et compléter ces dispositifs, il faut recruter massivement des psychologues cliniciens bénéficiant de formations longues et dans le respect de la diversité des modèles et des pratiques.

Mais la prévention, c’est avant tout une politique nationale qui maltraite moins sa population en la protégeant par le droit du travail et en lui évitant la précarité. On ne peut se priver d’une approche globale et c’est bien le risque de ces sous sous sous commissions.

La violence institutionnelle est indissociable de l’accueil et pouvoir se passer de l’article 84 paraît plus utile que de l « accompagner » dans une mise en oeuvre mortifère. Là encore les écarts de 1 à 9 en matière d’usage de la contrainte doivent être analysés.

La réhabilitation psychosociale ne doit pas être réduite à la remédiation cognitive qui pour rappel est discriminante car sa réussite s’appuie sur l’exclusion des patients les plus en difficulté ! Un patient psychotique diminué dans ses capacités cognitives sera dans l’impossibilité de s’inscrire dans ce type de prise en charge. L’inclusif à tout prix crée de l’exclusion. Cette orientation risque là encore de mettre à mal d’autres formes de réhabilitation inhérentes à la politique de secteur au même titre que la mobilité.

L’articulation entre les différents partenaires s’envisage dans les CLSM, les CPT notamment, par une meilleure connaissance réciproque des partenaires, de leurs attentes mutuelles, en tenant compte des réalités locales.

 Il est indispensable d’analyser ce qui a conduit à la catastrophe actuelle pour ne pas le reproduire et en corriger les effets. Il faut notamment redonner aux psychiatres, notamment les chefs de secteur, le niveau d’indépendance statutaire d’avant la loi HPST, remettre au goût du jour les rapports annuels de secteurs qui permettent de comprendre, permettre aux équipes de secteur de s’associer pour répondre au mieux aux missions selon le principe de subsidiarité, l’inter-sectorialité doit être l’exception et ne concerner que ce qui est impossible à réaliser seul (par exemple la liaison et un passage aux urgences. Elle ne doit pas être l’occasion d’exclure des patients au prétexte qu’ils n’auraient pas le profil. La principale force de l’équipe de secteur se situe dans ses obligations à l’égard d’une population.

A tous les niveaux mais particulièrement pour les psychiatres et les psychologues, la formation doit s’appuyer sur la diversité des modèles et des pratiques.  La dérive actuelle d’une confiscation de la formation tant théorique que pratique par les CHU est inacceptable, pire encore quand seuls les modèles neuronaux sont privilégiés au détriment de la dimension bio-psychosociale. C’est la disparition de la psychiatrie qui est ici à l’œuvre. Les infirmiers actuellement formés doivent pouvoir bénéficier dans le cadre de la formation initiale et continue du même niveau de formation que les infirmiers de secteur psychiatrique en leur temps.

Concernant la formation médicale, il est essentiel que les médecins généralistes aient pu fréquenter les secteurs de psychiatrie comme externe ou préférentiellement faire une stage d’internat ; cela leur permet de parfaire leur formation en psychiatrie mais aussi de découvrir les secteurs, le réseau, les pratiques et ce qu’ils peuvent attendre de ce dispositif dans leur pratique future.

Comme nous le soulignons, les universitaires et les ARS doivent participer au repeuplement indispensable des secteurs et les maquettes de formation doivent inclurent majoritairement l’exercice sur les secteurs à la fois pour la diversité des approches mais aussi pour la découverte de ces dispositifs. Il y a urgence de ce point de vue et il nous faut prendre en compte cet aspect dans la nomination des professeurs.

Aucun intéressement financier ne saurait être introduit pour valoriser des pratiques au vu des résultats. Il s’agit de modalités financières se rapprochant de la tarification à l’activité (et du modèle de l’entreprise privée) qui, comme cela est observé en MCO, pervertissent les pratiques et aboutissent à du gaspillage. Aucun marqueur de « bons résultats » ne doit être introduit, non seulement pour l’impossible globalisation de ce que serait une bonne et unique pratique à appliquer mais également parce qu’il entrave le professionnel dans sa liberté d’exercice et ne permet pas le cousu main.

Enfin pour les Assises, il est impératif de veiller aux équilibres des intervenants, en évitant que les universitaires soient surreprésentés, en s’assurant d’une pluralité des approches de ces intervenants et en garantissant une présence majoritaire d’acteurs de terrain qui s’occupent de patients, de représentants de patients et de familles.

Delphine Glachant, Présidente USP

Pierre Paresys, Vice-président USP