Communiqué du Printemps de la psychiatrie : UberPsy, la suite

Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, s’est fendu le 27 mars 2025 d’une interview dans l’Express au sujet de l’avenir des psychologues. Il y vante un projet gouvernemental de remise aux ordres des psychologues, au prétexte notamment du déploiement d’une version élargie du dispositif MonSoutienPsy.

Le contenu de ses propos au cours de cette interview et la conception réductrice du soin qu’il y promeut ont été largement dénoncés dans tous leurs aspects par les organisations de psychologues, notamment par la Convergence des Psychologues en Lutte (signataire du manifeste du Printemps de la psychiatrie). Nous rejoignons entièrement les critiques formulées par ces organisations.

Si de rares remarques de sa part apparaissent aller dans le bon sens (comme sur l’absence d’intérêt de la création d’un ordre des psychologues), M. Bellivier déploie a contrario de nombreuses contre-vérités cherchant à décrédibiliser une profession qui, pourtant, serait à l’heure actuelle en nombre suffisant pour contribuer largement et rapidement à atténuer la crise générale que connaît la psychiatrie publique.

Par la promotion intensive du dispositif MonSoutienPsy (déjà dénoncé à plusieurs reprises par le Printemps de la psychiatrie), le gouvernement vient renforcer la dégradation des services publics de psychiatrie, et particulièrement ceux du secteur. Celui-ci était pourtant initialement voué à accueillir toutes les formes de souffrances psychiques, des plus légères aux plus graves, dans des modalités adaptées au cas par cas, sans forcément passer par l’hospitalisation ou la psychiatrisation que beaucoup redoutent. Ainsi, des patient.e.s pouvaient (et peuvent encore) être accueilli.e.s par des psychologues en première intention, sans jamais rencontrer d’autre professionnel.le médical.e (psychiatre, infirmier.e.s, etc.). Cependant, en cas de besoin de soin ou d’accompagnement plus étoffé que des consultations ou une psychothérapie individuelle, le.la psychologue peut s’appuyer sur les divers professionnel.le.s de son équipe avec lesquel.le.s il et elle travaille déjà au quotidien.

C’est tout le contraire de ce que propose M. Bellivier : plutôt que de renforcer les équipes de psychiatrie de secteur, celui-ci prône le tout privé libéral et la création d’un deuxième échelon (MonSuperSoutienPsy) pour les patient.e.s aux pathologies les plus graves. Il poursuit ainsi la destruction de la psychiatrie publique, via la libéralisation et l’uberisation des interventions, dans une psychiatrie à la carte sans coordination ni continuité des soins.

Le Printemps de la psychiatrie ne saurait soutenir l’accélération annoncée de ce morcellement des prises en charge : nous affirmons au contraire la nécessité de renforcer les collectifs de soins, collectifs indispensables pour assurer une continuité des soins de qualité, le temps qu’il faut (et non pour un nombre restreint de séances), notamment auprès des patient.e.s les plus en difficulté.

M. Bellivier sous-entend par ailleurs que les psychologues n’ont actuellement pas les compétences requises pour exercer auprès de patient.e.s souffrant de pathologies lourdes, et qu’une réforme du référentiel universitaire serait nécessaire, avec notamment l’appui sur le ministère de la santé. Or, il semble méconnaître la réalité du métier et des formations des psychologues, historiquement et pertinemment rattachées aux sciences humaines et sociales. Les universités obligent déjà les étudiant.e.s en master de psychologie clinique à réaliser un stage en psychiatrie, dont tout le monde partage l’intérêt et la nécessité dans cette formation spécifique.

Même s’il s’en défend, son objectif est limpide : la paramédicalisation des psychologues (via une formation faite par le ministère de la santé, et un détricotage du titre unique des psychologues rattaché.e.s aux sciences humaines et sociales) et l’uniformisation des soins autour de pratiques spécifiques : une mise aux ordres visant à décréter quels soins, ou autrement dit quelles bonnes pratiques, seraient autorisés auprès de telles ou telles pathologies.

C’est une prise de position grave, qui ne touche pas que les psychologues : c’est toute la psychiatrie, ses professionnel.le.s, ses usager.e.s et leurs familles, qui sont concerné.e.s par cette tentative de contrôle du travail des psychologues. M. Bellivier précise en effet quelles pratiques devraient être selon lui labellisées : « la remédiation cognitive dans la schizophrénie, la psychoéducation dans les troubles bipolaires ou en prévention des rechutes dans les troubles dépressifs récurrents, les thérapies cognitivo-comportementales dans les troubles anxieux, ou l’EMDR dans le psychotraumatisme. » C’est une prise de position idéologique dévoilant une conception du soin psychique uniquement rééducative et fonctionnaliste, un dévoiement de la notion même de « soin psychique » faisant l’impasse sur les pratiques des professionnel.le.s ayant pourtant démontré leur pertinence (y compris l’approche psychodynamique) et surtout sur la nécessaire liberté de choix des patient.e.s des soins qu’ils et elles souhaiteraient recevoir.

M. Bellivier vise par ailleurs une « meilleure intégration des psychologues dans le parcours de soins et les accompagnements ». Le Printemps de la psychiatrie continue de dénoncer le fait que le dit « parcours de soins » conceptualise – à tort – les soins psychiques sur le modèle des soins somatiques. Ce modèle vide la psychiatrie de sa spécificité et contribue au soin morcelé, aux antipodes de la philosophie de secteur.

Nous sommes particulièrement inquiet.e.s de la direction que prendrait la psychiatrie française si de telles réformes venaient à être déployées. Nous appelons les citoyen.ne.s, les professionnel.le.s, les personnes concernées, les familles, à se mobiliser pour refuser ces réformes, pour exiger le rétablissement de moyens conséquents aux services publics pour des soins psychiques humains, dignes et respectueux de la liberté de toutes et tous.

pour retrouver le communiqué sur le site du Printemps de la psychiatrie