Vigilance sur les implications psychiatriques de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir

Monsieur le Premier ministre

Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à examiner la proposition de loi relative à la fin de vie encadrant l’aide à mourir (proposition n°1100), nous souhaitons attirer votre attention sur un point particulièrement sensible du texte, porteur de risques de dérives en matière de santé mentale.

Le texte prévoit que les personnes concernées puissent demander une aide à mourir si elles présentent « une souffrance physique ou psychologique liée à une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital ou est en phase avancée ou terminale », lorsque cette souffrance est soit réfractaire aux traitements, soit jugée insupportable par la personne elle-même, notamment en cas de refus ou d’arrêt de traitement.

Les troubles psychiatriques ne sont pas explicitement exclus du champ d’application de la loi. Cette absence d’exclusion explicite serait justifiée par le principe de non-discrimination des personnes souffrant de troubles mentaux. Cependant, nombre de patients atteints de pathologies psychiatriques graves et persistantes (dépression sévère, schizophrénie, troubles de la personnalité…), parfois soignés sans leur consentement, pourraient revendiquer remplir les critères fixés par le texte : souffrance psychologique jugée insupportable, affection grave et incurable, mise en jeu du pronostic vital du fait d’un risque suicidaire ou des comorbidités somatiques. Or, l’évolution des troubles mentaux est imprévisible et les moyens sont nombreux pour soigner les personnes qui en souffrent.

Nous alertons sur plusieurs points de vigilance :

– Une demande d’aide à mourir, même rationnalisée par une douleur physique ou psychique, n’est-elle pas dans certains cas, une autre façon d’exprimer une intention suicidaire ? L’accès à l’aide à mourir pourrait alors devenir une réponse prématurée et irréversible à une détresse curable et réversible, court-circuitant les dispositifs de soin.

– Les dispositifs destinés à améliorer la santé mentale ont parmi leurs missions essentielles de lutter contre le suicide et de le prévenir. Une telle loi pourrait brouiller les repères pour les professionnels et les proches, rendant plus difficile leur intervention en cas de crise suicidaire.

– L’évaluation du discernement et de l’opportunité de proposer des soins : apprécier la capacité d’une personne à exprimer une volonté libre et éclairée est un acte complexe, particulièrement en présence de troubles psychiques. En outre, les soins psychologiques ou psychiatriques sont dans de très nombreux cas de nature à infléchir une demande de mort exprimée. Ces aspects ne peuvent être laissés à l’appréciation subjective des seules équipes en charge, sans procédure claire et garantie d’une évaluation indépendante du discernement d’une part, de l’opportunité de proposer des soins d’autre part.

– Enfin, l’absence d’articulation explicite entre ce texte et la politique nationale de prévention du suicide constitue une incohérence majeure, à l’heure où près de 9 000 personnes se donnent la mort chaque année en France.

Dans ce contexte, nous appelons à des précautions qui nous paraissent indispensables :

– L’instauration d’une évaluation psychiatrique indépendante chaque fois que jugée nécessaire par les équipes soignantes ou les proches lors d’une demande d’aide à mourir, afin d’apprécier la capacité de discernement, de repérer les éventuels troubles psychiatriques caractérisés et dans tous les cas d’être en mesure de proposer des soins susceptibles d’infléchir la demande de mort.

– Un délai minimal de réflexion, permettant d’évaluer la stabilité et la cohérence de la demande dans le temps, et de s’assurer qu’elle ne relève pas d’une réaction aiguë ou transitoire.

– Un rappel clair des principes et des objectifs de la prévention du suicide, afin que ce projet de loi ne fragilise pas les efforts de santé publique menés depuis des années et qui portent déjà leurs fruits.

Nous avons pleinement conscience de la complexité de ce débat. Mais le respect de l’autonomie doit se construire dans un cadre rigoureux, éthique et protecteur. Ce cadre doit garantir à toutes les personnes, y compris celles atteintes de troubles mentaux, un accès équitable aux soins, sans stigmatisation ni abandon.

Nous vous remercions pour l’attention que vous porterez à cette alerte éthique, médicale et sociétale.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.

Conseil National Professionnel de Psychiatrie

Collège National des Universitaires de Psychiatrie (CNUP)
Fédération Française de Psychiatrie (FFP)
Collège National pour la Qualité des Soins en Psychiatrie (CNQSP)
Syndicat des Psychiatres Français (SPF)
Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH)
Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)
Syndicat Universitaire des Psychiatres (SUP)
Syndicat National des Psychiatres Privés (SNPP)
Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP)
Intersyndicale de Défense de la Psychiatrie Publique (IDEPP)

Courrier adressé également à :

Madame Catherine Vautrin, Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
Monsieur Yannick Neuder, Ministre auprès de la Ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargé de la Santé et de l’Accès aux soins
Mesdames et Messieurs les Députés

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